Genève, pionnier suisse dans l’interdiction des plastiques à usage unique
Le président de la Confédération a exprimé au cours du sommet de Davos en janvier 2023 le souhait de la Suisse d’accueillir à Genève le secrétariat de la Coalition de la haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique. Ce groupement d’Etats vise à faire adopter un instrument international juridiquement contraignant pour contrer cette pollution. La coïncidence est heureuse, car le législateur genevois a adopté récemment une nouvelle loi sur la gestion des déchets qui interdira les plastiques à usage unique dans la restauration dès 2025.
Alors que les déchets plastiques constituent un problème mondial pressant, les initiatives juridiques se multiplient sur le plan du droit international et comparé. L’Union européenne a par exemple interdit de mettre sur le marché depuis 2021 un certain nombre de produits en plastique à usage unique tels que les cotons-tiges, les couverts, les pailles ou les gobelets en polystyrène expansé. Le Royaume-Uni a décidé de suivre.
La Suisse accuse en revanche un grand retard. La Confédération aurait pourtant pu être pionnière, car elle possède depuis plus d’un quart de siècle les bases légales adéquates. Le Conseil fédéral dispose en effet depuis 1997 de la compétence d’«interdire la mise dans le commerce de produits destinés à un usage unique et de courte durée, si les avantages liés à cet usage ne justifient pas les atteintes à l’environnement qu’il entraîne» (art. 30a de la loi sur la protection de l’environnement, LPE). Le Conseil fédéral avait explicitement demandé en 1993 aux Chambres fédérales d’«avoir les moyens d’intervenir contre les excès de la civilisation du «tout à jeter», par exemple lorsqu’il est possible, sans coûts démesurés, d’économiser des matériaux ou lorsqu’un article jetable peut être remplacé par un produit réutilisable.» Or, le gouvernement n’a toujours pas légiféré.
Fort heureusement, la structure fédéraliste de la Suisse permet d’expérimenter de nouvelles solutions législatives dans un processus de construction du droit par la base, et de stimuler de la sorte la Confédération. La loi sur la protection de l’environnement autorise ainsi les cantons à édicter des dispositions d’exécution si le Conseil fédéral n’exerce pas sa compétence. Quelques villes et communes ont certes ouvert la voie en interdisant les plastiques à usage unique depuis une dizaine d’années, mais seulement lors de manifestations organisées sur leur territoire. Le Grand Conseil genevois vient de faire un pas de plus avec sa nouvelle loi sur la gestion des déchets. Il étend l’interdiction des plastiques à usage unique à toute la restauration dès 2025 et assujettit cette règle à une obligation d’évaluation: si la mesure ne devait pas s’avérer suffisamment efficace, la nouvelle loi contraint le Conseil d’Etat de proposer au Grand Conseil l’interdiction générale d’utiliser, de mettre à disposition ou de vendre des sacs en plastique ou des produits en plastique à usage unique, au-delà de la restauration.
Cette compétence d’interdire a été critiquée, lors des travaux parlementaires notamment, au motif qu’elle violerait la liberté d’accès au marché intérieur. Le principe du lieu d’origine exige en effet qu’un produit puisse être commercialisé et utilisé dans toute la Suisse si une telle pratique est autorisée dans le canton où l’entreprise fournisseuse a son siège. Une interdiction des plastiques jetables valable exclusivement dans le canton de Genève constitue sans nul doute une entrave au marché intérieur, car de tels produits restent autorisés dans d’autres cantons. La loi sur le marché intérieur prévoit toutefois une exception si cette entrave devait, en particulier, être indispensable à la préservation d’un intérêt public prépondérant. Or le développement durable, la protection de l’environnement, en particulier celle du climat, constituent désormais sans conteste un tel intérêt majeur. Les quantités de déchets plastiques abandonnés dans l’environnement sont alarmantes. Le lac Léman et les eaux du Rhône présentent par exemple une concentration en plastique assez similaire à celle des océans, selon l’exposé des motifs du Conseil d’Etat relatif à la nouvelle loi sur les déchets. L’interdiction des plastiques à usage unique est donc une restriction parfaitement admissible à la liberté d’accès au marché intérieur.
Le référendum n’ayant pas abouti en décembre dernier, il revient désormais à la Confédération de décider de la compatibilité au droit fédéral de l’interdiction genevoise en approuvant, ou non, la nouvelle loi genevoise avant que celle-ci puisse entrer en vigueur, comme l’art. 37 LPE l’exige. Sous la houlette du conseiller fédéral Albert Rösti, le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC), puis le Conseil fédéral en cas de litige, seront donc amenés à trancher la validité de cette norme pionnière. Espérons que Berne mettra à profit cette stimulation cantonale pour, enfin, «intervenir contre les excès de la civilisation du «tout à jeter» avec efficacité! ■