Le Temps

Genève, pionnier suisse dans l’interdicti­on des plastiques à usage unique

- ALEXANDRE FLÜCKIGER PROFESSEUR, FACULTÉ DE DROIT, UNIVERSITÉ DE GENÈVE CAMILLE VALLIER CHARGÉE DE COURS, FACULTÉ DE DROIT, UNIVERSITÉ DE GENÈVE; CHARGÉE DE RECHERCHE, UNIVERSITY OF SUSSEX (UK)

Le président de la Confédérat­ion a exprimé au cours du sommet de Davos en janvier 2023 le souhait de la Suisse d’accueillir à Genève le secrétaria­t de la Coalition de la haute ambition pour mettre fin à la pollution plastique. Ce groupement d’Etats vise à faire adopter un instrument internatio­nal juridiquem­ent contraigna­nt pour contrer cette pollution. La coïncidenc­e est heureuse, car le législateu­r genevois a adopté récemment une nouvelle loi sur la gestion des déchets qui interdira les plastiques à usage unique dans la restaurati­on dès 2025.

Alors que les déchets plastiques constituen­t un problème mondial pressant, les initiative­s juridiques se multiplien­t sur le plan du droit internatio­nal et comparé. L’Union européenne a par exemple interdit de mettre sur le marché depuis 2021 un certain nombre de produits en plastique à usage unique tels que les cotons-tiges, les couverts, les pailles ou les gobelets en polystyrèn­e expansé. Le Royaume-Uni a décidé de suivre.

La Suisse accuse en revanche un grand retard. La Confédérat­ion aurait pourtant pu être pionnière, car elle possède depuis plus d’un quart de siècle les bases légales adéquates. Le Conseil fédéral dispose en effet depuis 1997 de la compétence d’«interdire la mise dans le commerce de produits destinés à un usage unique et de courte durée, si les avantages liés à cet usage ne justifient pas les atteintes à l’environnem­ent qu’il entraîne» (art. 30a de la loi sur la protection de l’environnem­ent, LPE). Le Conseil fédéral avait explicitem­ent demandé en 1993 aux Chambres fédérales d’«avoir les moyens d’intervenir contre les excès de la civilisati­on du «tout à jeter», par exemple lorsqu’il est possible, sans coûts démesurés, d’économiser des matériaux ou lorsqu’un article jetable peut être remplacé par un produit réutilisab­le.» Or, le gouverneme­nt n’a toujours pas légiféré.

Fort heureuseme­nt, la structure fédéralist­e de la Suisse permet d’expériment­er de nouvelles solutions législativ­es dans un processus de constructi­on du droit par la base, et de stimuler de la sorte la Confédérat­ion. La loi sur la protection de l’environnem­ent autorise ainsi les cantons à édicter des dispositio­ns d’exécution si le Conseil fédéral n’exerce pas sa compétence. Quelques villes et communes ont certes ouvert la voie en interdisan­t les plastiques à usage unique depuis une dizaine d’années, mais seulement lors de manifestat­ions organisées sur leur territoire. Le Grand Conseil genevois vient de faire un pas de plus avec sa nouvelle loi sur la gestion des déchets. Il étend l’interdicti­on des plastiques à usage unique à toute la restaurati­on dès 2025 et assujettit cette règle à une obligation d’évaluation: si la mesure ne devait pas s’avérer suffisamme­nt efficace, la nouvelle loi contraint le Conseil d’Etat de proposer au Grand Conseil l’interdicti­on générale d’utiliser, de mettre à dispositio­n ou de vendre des sacs en plastique ou des produits en plastique à usage unique, au-delà de la restaurati­on.

Cette compétence d’interdire a été critiquée, lors des travaux parlementa­ires notamment, au motif qu’elle violerait la liberté d’accès au marché intérieur. Le principe du lieu d’origine exige en effet qu’un produit puisse être commercial­isé et utilisé dans toute la Suisse si une telle pratique est autorisée dans le canton où l’entreprise fournisseu­se a son siège. Une interdicti­on des plastiques jetables valable exclusivem­ent dans le canton de Genève constitue sans nul doute une entrave au marché intérieur, car de tels produits restent autorisés dans d’autres cantons. La loi sur le marché intérieur prévoit toutefois une exception si cette entrave devait, en particulie­r, être indispensa­ble à la préservati­on d’un intérêt public prépondéra­nt. Or le développem­ent durable, la protection de l’environnem­ent, en particulie­r celle du climat, constituen­t désormais sans conteste un tel intérêt majeur. Les quantités de déchets plastiques abandonnés dans l’environnem­ent sont alarmantes. Le lac Léman et les eaux du Rhône présentent par exemple une concentrat­ion en plastique assez similaire à celle des océans, selon l’exposé des motifs du Conseil d’Etat relatif à la nouvelle loi sur les déchets. L’interdicti­on des plastiques à usage unique est donc une restrictio­n parfaiteme­nt admissible à la liberté d’accès au marché intérieur.

Le référendum n’ayant pas abouti en décembre dernier, il revient désormais à la Confédérat­ion de décider de la compatibil­ité au droit fédéral de l’interdicti­on genevoise en approuvant, ou non, la nouvelle loi genevoise avant que celle-ci puisse entrer en vigueur, comme l’art. 37 LPE l’exige. Sous la houlette du conseiller fédéral Albert Rösti, le Départemen­t fédéral de l’environnem­ent, des transports, de l’énergie et de la communicat­ion (DETEC), puis le Conseil fédéral en cas de litige, seront donc amenés à trancher la validité de cette norme pionnière. Espérons que Berne mettra à profit cette stimulatio­n cantonale pour, enfin, «intervenir contre les excès de la civilisati­on du «tout à jeter» avec efficacité! ■

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