L’arroseur arrosé de Wall Street
A 86 ans, Carl Icahn, rendu milliardaire et célèbre par ses raids menés sur de grandes entreprises, est lui-même soupçonné de manipuler le cours de sa société. C’est ce qu’avance Hindenburg Research, la société spécialisée dans les ventes à découvert qui avait récemment dénoncé de supposées malversations au sein du conglomérat indien Adani ou dans la société de paiement Block, créée par le cofondateur de Twitter, Jack Dorsey.
Son reproche principal à Carl Icahn? Sa société d’investissement IEP verserait un dividende trop généreux et déconnecté de la réalité, grâce à des mécanismes utilisés dans des chaînes de Ponzi. L’histoire est assez ironique, puisque l’accusation vise un investisseur activiste connu depuis quarante ans pour son âpreté dans les négociations et sa maîtrise de l’art de la prise de contrôle d’entreprises. Surnommé le Loup solitaire de Wall Street, Icahn aurait été une des sources d’inspiration du personnage de Gordon Gekko dans le film Wall Street d’Oliver Stone. Vous savez, le trader gominé incarné par Michael Douglas, pour qui «Greed is good».
L’appât d’un dividende élevé
Dans la vraie vie, Carl Icahn aurait amassé une fortune d’une vingtaine de milliards de dollars. Peut-être grâce à un stratagème dénoncé dans un rapport publié le 2 mai par Hindenburg Research. En résumé, la société d’Icahn, IEP, verse un dividende élevé (de 8 dollars), que son propriétaire à près de 90% (Icahn lui-même) n’encaisse pas en cash, mais en actions, qui sont émises pour l’occasion. Cela laisserait davantage de liquidités dans l’entreprise et donc davantage de possibilités d’investissement.
Mais, avance Hindenburg, ce dividende serait en réalité un appât. Attirés par ce paiement apparemment régulier et protégé, des investisseurs achètent des parts nouvellement émises par IEP, ce qui soutient son cours boursier. Alors que les véritables actifs d’IEP ne justifient ni la hauteur de son dividende ni la valeur de son action, selon le vendeur à découvert. Moralité (si l’on peut dire): l’argent de ces nouveaux venus permettrait de financer le dividende versé aux plus anciens. Du pur Ponzi, «ce qui n’est durable que tant que de nouveaux capitaux sont disposés à prendre le risque d’être le dernier de la chaîne».
Réponse de l’activiste, qui avait milité avec succès en 2013 pour qu’Apple se mette à verser un dividende: ce rapport ne fait que servir les intérêts de Hindenburg et «la performance d’IEP parlera d’elle-même sur le long terme comme elle l’a toujours fait».
Paradoxalement, Hindenburg a atténué la situation qu’il dénonce. L’action d’IEP a perdu plus de 40% durant les trois séances boursières qui ont suivi la publication de ce rapport. La fortune de Carl Icahn aurait fondu de 10 milliards en conséquence. L’action s’est reprise jeudi après l’annonce d’un dividende de 2 dollars par IEP au titre du premier trimestre.
Un point intéressant est que l’action IEP est l’une de celles qui font le moins l’objet de ventes à découvert (qui permettent de parier sur la baisse d’un titre), pour des entreprises de cette taille, selon des données dévoilées par Bloomberg. Ce qui peut signifier que les grands investisseurs de Wall Street sont réticents à parier contre l’un des leurs ou qu’ils préfèrent investir aux côtés d’Icahn, qui n’a peut-être pas fini de trouver des bons coups financiers.
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