«Nous avons dépoussiéré Zenith»
Julien Tornare dirige la manufacture locloise depuis 2017. Arrivé dans une maison un peu en perdition, il l’a restructurée et remise sur les rails. La marque a connu l’an dernier la plus forte croissance de son histoire
Le directeur général de Zenith n’est pas du genre à manier la langue de bois. Ni à se prendre la tête. Aussi franc qu’accessible, il a su prendre les décisions qui s’imposaient pour redresser une marque historique qui était à la déroute. La manufacture Zenith a développé le mouvement de chronographe le plus célèbre, El Primero, qui a notamment fait battre le coeur d’icônes telles que la Rolex Daytona entre 1988 et 2000. Et si son mouvement n’a jamais perdu de sa désidérabilité, Zenith a pâli et ses ventes ont chuté, jusqu’à l’arrivée de celui qui a osé opérer des changements profonds.
Comment se porte Zenith aujourd’hui, six ans après votre arrivée à sa tête? En 2021 et 2022, nous avons réalisé des chiffres record, comme Zenith n’en avait encore jamais connu. L’année dernière, nous avons enregistré une croissance élevée à deux chiffres, sauf évidemment en Chine et en Russie. Nous ne livrons plus cette dernière, mais avons maintenu nos investissements dans l’Empire du Milieu en prévision de la reprise. Sur 2022, en analysant les chiffres de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), nous n’avons pas uniquement augmenté notre chiffre d’affaires mais également gagné des parts de marché.
Il y a peu de temps encore, on disait Zenith agonisante, comment avez-vous réussi ce tour de force? Quand je suis arrivé, la première chose qu’on m’a dite était qu’on ne comprenait plus la marque, qu’elle n’était plus lisible. Avec beaucoup de respect pour le travail de mes prédécesseurs, la marque était un peu partie dans différentes directions et était tiraillée. Entre 2017 et 2019, nous avons travaillé sur les fondamentaux, nous avons remis les choses en place. Et nous avons dû faire face à la pandémie. Sur le moment, je me suis dit que c’était la catastrophe. Déjà que pour une entreprise qui va bien c’était compliqué, alors imaginez pour une convalescente… Finalement, cela nous a forcés à achever la transformation et la restructuration. Nous avons notamment mis en place l’e-commerce, et la crise a finalement servi d’accélérateur. Avec les résultats que nous connaissons.
Concrètement, quelles ont été les étapes de restructuration? Ma première préoccupation a été de travailler sur qu’est Zenith, son histoire, ses valeurs. Une fois cette plateforme de marque clairement définie, nous avons pu travailler sur les produits et leur déclinaison marketing, mais pas uniquement. Lors de mon processus de recrutement, j’avais remarqué que le site internet n’était même pas responsive [conçu et développé de façon à pouvoir s’adapter à toutes les résolutions d’écran, ndlr]. C’est donc la première chose à laquelle je me suis attelé. Nous n’étions également pas présents sur les réseaux sociaux, la qualité des écrins ne correspondait pas à nos montres. Bref, nous avons dû reprendre tous les éléments point par point. En 2019, nous avons célébré les 50 ans du mouvement El Primero, nous avons organisé des événements dans une vingtaine de villes du monde entier. Un vrai travail de terrain pour faire parler de la marque différemment. C’est à ce moment-là que nous avons redécollé.
Qu’est-ce qui ne plaisait plus aux clients dans la marque? De manière générale, Zenith était surnommée «la belle endormie». Elle était perçue comme un peu poussiéreuse, tournée vers le passé. Les clients ne s’y retrouvaient pas. Il a fallu insuffler de la modernité, un esprit contemporain, à 360 degrés. Sur les produits évidemment, sur le marketing, mais également sur tout le reste. Notamment le concept des boutiques. Nous l’avons entièrement revu, jusqu’au plus petit présentoir. Nous avons tout dépoussiéré, tout en conservant l’histoire et l’héritage qui sont absolument incroyables.
Vous dépoussiérez mais en même temps vous communiquez beaucoup
sur votre histoire… Le côté authentique est particulièrement important pour nous. Nous sommes une des rares marques où 100% de nos montres sont équipées avec des mouvements Zenith. Nous n’achetons aucun mouvement fini à l’extérieur. Les histoires aussi sont authentiques, comme celle de Charles Vermot qui a sauvé El Primero et que nous valorisons aujourd’hui [lire encadré]. Avec tout le travail accompli depuis six ans, nous reflétons une image beaucoup plus dynamique et contemporaine. Et cela se vérifie avec l’âge moyen de nos clients, qui est passé de 47 ans à 36 ans.
Cette forte progression induit-elle, comme pour d’autres marques, des listes d’attente pour obtenir certains modèles? Cela nous est arrivé depuis le lancement de la Chronomaster Sport ou de la Defy Skyline l’année passée, mais ce n’est en aucun cas un objectif en soi et nous n’en ferons jamais une stratégie. Ce phénomène me fait peur par rapport à une certaine clientèle. Je pense que c’est bien de créer de la désidérabilité, de la rareté, c’est ce qui définit le luxe, néanmoins certains délais d’attente sont trop longs. Nous arrivons au bout du système. Il faut faire attention, il y a des clients qui deviennent un peu aigris et pas uniquement contre une marque, mais contre l’industrie en général. Nous avons eu six à huit mois d’attente sur la Chronomaster Sport, durant la phase de lancement. Aujourd’hui, nous en sommes à trois ou quatre mois selon les marchés. C’est acceptable. Quand on commence à parler en année, il y a une déconnexion avec le client.
Votre mouvement El Primero équipe d’autres marques, dont Hublot, mais Zenith n’arrivait pas à le valoriser, c’est tout de même surprenant comme constat… Jean-Claude Biver, directeur de la division horlogère de LVMH à l’époque, m’a interpellé à ce sujet alors que j’étais en poste depuis à peine deux ou trois semaines en me faisant remarquer qu’avec El Primero le mouvement était plus fort que la marque. Je lui avais répondu que ce n’était pas le mouvement qu’il fallait tuer, mais que c’était la marque qu’il fallait valoriser. Posséder un El Primero dans son capital, dans son patrimoine, toutes les marques en rêveraient. C’est un mouvement tellement mythique, il en existe peu qui soient ainsi connus par leur nom. Il a équipé les plus belles marques (Rolex, Panerai, Ebel notamment). Les gens connaissaient mieux le mouvement que les lignes de produits ou même que Zenith. Nous y sommes restés fidèles, mais nous avons travaillé sur l’image de marque. Maintenant que nous avons les deux, nous pouvons monter en puissance.
Qu’en est-il de l’e-commerce lancé durant la pandémie? Ce dernier rencontre un franc succès, bien au-delà de nos espérances, puisqu’il représente environ 6% de notre chiffre d’affaires. C’est également un service aux clients. Nous ne devons pas toujours raisonner avec notre vision européenne, où il existe un point de vente à 50 ou 100 kilomètres. Dans des pays beaucoup plus grands que les nôtres tels que les Etats-Unis, l’Australie, l’Indonésie, la Chine, acheter sur internet, c’est parfois la seule solution, sans devoir parcourir des centaines de kilomètres. Non seulement nous acquérons ainsi de nouveaux clients, mais cela contribue également au rajeunissement de l’image.
«Je pense que c’est bien de créer de la désidérabilité, de la rareté, c’est ce qui définit le luxe»
Vous figurez parmi les précurseurs en ayant lancé il y a trois ans Zenith Icons, marché de seconde main de vos modèles. Comment se porte ce secteur? C’est un programme génial, mais ma frustration, c’est que nous peinons à acheter suffisamment de montres. C’est positivement paradoxal. Aujourd’hui comme la marque va mieux, les gens ont tendance à garder leur Zenith. Il y a six ans, c’était plus facile d’en trouver, désormais les collectionneurs constatent que la cote monte dans les ventes aux enchères, la marque est largement plus présente, donc ils ont tendance à garder leurs montres. Nous maintenons des prix qui sont raisonnables, tout en donnant la possibilité d’acheter des garde-temps rares et difficiles à trouver, avec toute la sécurité qu’une marque offre et une garantie de trois ans. Il y a beaucoup de déçus dans le marché de la seconde main, des gens qui achètent des montres de toutes marques et qui se rendent compte que ce sont des hybrides, qu’elle ne marche pas, voire pire, qu’elle est fausse. De plus, en faisant vivre ces objets, nous donnons un message important aux nouveaux acquéreurs: ils savent que leur montre pourra être révisée et restaurée ad vitam aeternam.
Comment envisagez-vous 2023 et
votre potentiel de croissance? En 2021, La marque s’est positionnée dans une catégorie supérieure. En 2022, nous avons connu une forte croissance, mais nous avons une limite qui est la nôtre. Comme je l’ai déjà dit, nous n’achetons pas des mouvements à l’extérieur, nous ne pouvons par conséquent pas augmenter la production plus rapidement que prévu. Cela nous évite de commettre l’erreur de vouloir aller trop vite. Nous sommes en phase de recrutement, nous nous développons, mais cela prend du temps. Pour répondre à la question, nous connaîtrons donc en 2023 une croissance plus raisonnable que celle que nous avons eue en 2022, mais elle est pérenne.
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