Dans l’exploitation minière des fonds marins, le vent a tourné
A.P. Moller-Maersk, deuxième armateur mondial, a annoncé la semaine dernière vendre ses parts dans The Metals Company (TMC). Cette entreprise canadienne, en pole position pour recevoir un premier permis d’extraction des métaux du fond des océans, fait face à des vents contraires depuis plusieurs mois. En décembre, un autre gros investisseur, le financier Storebrand, a aussi pris ses distances avec TMC, dont l’action au Nasdaq, en un an, a chuté de 90%. En mars, le groupe américain Lockheed Martin a aussi retiré ses billes du secteur.
Ce mois-là, l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), une institution onusienne, s’est réunie dans son siège en Jamaïque dans l’optique d’éventuellement permettre, pour la première fois, une extraction industrielle des richesses minérales des grands fonds. L’AIFM existe depuis 1994 et, durant la majorité de son existence, elle n’a pas fait de vagues. Mais en mars, c’était différent, plusieurs grands journaux lui ont consacré des articles fouillés.
Institution critiquée
Peut-être parce que jamais l’humanité n’a été aussi proche de creuser en profondeur, que c’est l’AIFM qui délivre un tel permis et qu’elle pourrait donner son premier feu vert historique lors de sa prochaine réunion en juillet. Sans doute aussi car la transition énergétique, dont on prend enfin conscience qu’elle est essentielle, requiert une quantité énorme de métaux, qui manquent cruellement, et que tout gisement est à considérer. Peut-être parce que 750 scientifiques ont alerté sur les dangers qu’une telle extraction pourrait avoir dans les abysses, les seuls écosystèmes préservés. Sûrement aussi parce que l’AIFM semble carrément dysfonctionner.
C’est en tout cas ce qu’indiquait le New York Times, dans une enquête en août, suivie de plusieurs autres investigations, de Bloomberg au Guardian. L’AIFM aurait donné accès à TMC à des sites miniers sous-marins réservés à des pays en développement. Le Los Angeles Times a de son côté évoqué des conflits d’intérêts au sein de l’AIFM. Une vidéo rendue publique cet hiver a exacerbé les critiques. Elle montre qu’un navire exploité par TMC pour des tests rejette des sédiments toxiques dans la mer.
«Les statuts de l’AIFM sont contradictoires, cette dernière doit encadrer l’exploitation des fonds marins et préserver les océans. On demande au loup de surveiller la bergerie», renchérit Anne-Sophie Roux, une représentante de la Sustainable Ocean Alliance, une ONG qui demande une réforme de l’institution. L’AIFM et TMC rejettent ses critiques.
L’éveil médiatique semble avoir eu un gros impact. Avant 2022, tout indiquait que, dans l’ombre, l’AIFM allait continuer à contourner son règlement, qui dit que toute décision doit être votée par ses Etats membres, et octroyer en douce un permis d’extraction à TMC. Désormais, c’est un non qui se dessine.
Suisse sous pression
Dans cette histoire, la Suisse est sous pression, et pas seulement parce que TMC compte parmi ses investisseurs la firme fribourgeoise Allseas et le géant zougois Glencore. La Confédération n’est pas membre de l’AIFM mais elle envoie une délégation à chacune des réunions. Sa position se fait attendre après que des pays voisins (France, Espagne et Allemagne) se sont prononcés pour un moratoire d’une exploitation minière des fonds marins. Une interpellation du député vert Raphaël Mahaim a poussé le Conseil fédéral à répondre, en avril: il se prononcera en juin, pour ou contre un moratoire.
Selon nos informations, la délégation suisse est critique vis-à-vis d’une telle extraction, notamment parce qu’on ignore quel serait son impact dans ces milieux méconnus, moins cartographiés que la surface de la lune. Rien que le bruit qu’elle générerait serait nocif. Il viendrait d’une machine qui aspire des nodules polymétalliques (des minerais ressemblant à des patates) à l’aide d’un long tuyau relié à un navire. Et on ne sait pas comment séparer le manganèse, le cobalt, le nickel et le cuivre de ces nodules.
Des ONG estiment qu’il faut plutôt réduire notre consommation de métaux et miser sur l’économie circulaire pour en récupérer. D’autant plus que le nombre de batteries en circulation explose et que des usines en recyclent désormais. En 2022, la Banque européenne d’investissement a exclu le «deep sea mining» de son portfolio tandis que le PNUD et la Banque mondiale ont publié des rapports allant dans le même sens.
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