La contre-offensive ukrainienne, chemin vers la paix?
Bien qu’annoncée de longue date, minutieusement préparée et finalement sur le point d’être réalisée, la contre-offensive ukrainienne comporte une part de surprise. La reconquête des territoires occupés du sud de l’Ukraine offre un vaste champ de possibilités. Il s’agit de percer la ligne du front à l’endroit le plus favorable. Les forces ukrainiennes ont su jouer de la surprise stratégique par le passé. L’armée russe pour sa part s’est retranchée et fortifiée derrière ladite ligne de front après l’échec de sa récente offensive pour reprendre le Donbass. Alors qu’elle occupait 27% du territoire ukrainien, elle n’en contrôlerait plus que 18% aujourd’hui, selon les chiffres indiqués par le professeur Lawrence Freedman dans le Financial Times du 6 mai dernier.
On a comparé la contre-offensive ukrainienne au débarquement du 6 juin 1944. Si la manoeuvre a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale, elle n’a pas suffi à mettre fin à la guerre qui a encore duré près d’une année. La question se pose de savoir si l’action attendue des forces de Kiev sera aussi décisive. Elles disposeront d’un armement qualitativement supérieur à celui de leur ennemi grâce aux fournitures occidentales et possèdent un moral d’acier. Leurs chefs se sont distingués par leur habileté, leur audace et leur méthode de commandement décentralisée. Les résultats probables n’en sont pas moins incertains. Plusieurs hypothèses circulent: les Ukrainiens remportent une victoire significative comme à Kherson et font encore reculer les troupes russes. Ou les combats se prolongent sans que l’une des deux armées aux prises ne l’emporte clairement. Les Ukrainiens auront-ils encore suffisamment d’équipement après les batailles à venir ou faudra-t-il s’attendre à un mouvement des Russes qui lanceraient à leur tour une contre-offensive? Les Occidentaux pourront-ils réarmer l’Ukraine alors que leurs stocks de munitions sont déjà appauvris? Pour le cas où l’armée ukrainienne échouerait dans sa tentative, l’impasse militaire actuelle, ponctuée d’attaques meurtrières visant notamment les civils, se poursuivrait avec la perspective d’un nouvel hiver rigoureux.
Une question cependant domine ces considérations tactiques. Un évènement militaire majeur sur le terrain peut-il favoriser une médiation internationale pour mettre fin aux hostilités? Certains des alliés de l’Ukraine seront plutôt disposés à encourager Kiev à poursuivre la guerre. Mais d’autres, et non des moindres, réalisent qu’ils n’ont pas intérêt à une longue guerre qui pèserait encore davantage sur la vie internationale et sur l’économie mondiale, nuirait à l’approvisionnement énergétique, à la collaboration internationale pour le développement durable, à la sécurité alimentaire, à la lutte contre les changements climatiques, à celle contre la prolifération d’armes de destruction massive et les pandémies. Diverses initiatives ont été formulées; le Brésil, le Mexique ont proposé de créer un groupe de pays susceptibles de se présenter en médiateurs. Ils n’ont guère eu d’écho.
Les parties elles-mêmes ne sont pas prêtes à envisager un cessez-le-feu: la Russie exige que Kiev reconnaisse au préalable l’annexion des terres qu’elle occupe à l’est et au sud de l’Ukraine, terres que l’Ukraine de son côté veut récupérer avant de mettre fin à la guerre.
Il s’agit donc de savoir qui peut amener les belligérants à plus de souplesse dans leurs positions et leur faire valoir l’intérêt d’un cessez-lefeu et d’une solution négociée. Les Occidentaux ont un levier sur Kiev: le moment venu, ils pourraient conditionner la livraison d’armes ou l’aide à la reconstruction aux modalités de recherche de la paix. Reste à convaincre Moscou. Les Occidentaux qui n’avaient d’abord vu dans les propositions de paix de la Chine qu’un reflet des vues de Poutine, sont en train de se demander si Beijing n’est pas en mesure d’influencer le maître du Kremlin. La thèse défendue par le président Macron lors de sa visite en Chine gagne du terrain auprès des alliés, notamment à Washington. La Chine pourrait donc devenir partie prenante de la nouvelle architecture de sécurité de l’Europe. Pourquoi pas?
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