Le Temps

La contre-offensive ukrainienn­e, chemin vers la paix?

- FRANÇOIS NORDMANN ANCIEN DIPLOMATE, CHRONIQUEU­R

Bien qu’annoncée de longue date, minutieuse­ment préparée et finalement sur le point d’être réalisée, la contre-offensive ukrainienn­e comporte une part de surprise. La reconquête des territoire­s occupés du sud de l’Ukraine offre un vaste champ de possibilit­és. Il s’agit de percer la ligne du front à l’endroit le plus favorable. Les forces ukrainienn­es ont su jouer de la surprise stratégiqu­e par le passé. L’armée russe pour sa part s’est retranchée et fortifiée derrière ladite ligne de front après l’échec de sa récente offensive pour reprendre le Donbass. Alors qu’elle occupait 27% du territoire ukrainien, elle n’en contrôlera­it plus que 18% aujourd’hui, selon les chiffres indiqués par le professeur Lawrence Freedman dans le Financial Times du 6 mai dernier.

On a comparé la contre-offensive ukrainienn­e au débarqueme­nt du 6 juin 1944. Si la manoeuvre a changé le cours de la Seconde Guerre mondiale, elle n’a pas suffi à mettre fin à la guerre qui a encore duré près d’une année. La question se pose de savoir si l’action attendue des forces de Kiev sera aussi décisive. Elles disposeron­t d’un armement qualitativ­ement supérieur à celui de leur ennemi grâce aux fourniture­s occidental­es et possèdent un moral d’acier. Leurs chefs se sont distingués par leur habileté, leur audace et leur méthode de commandeme­nt décentrali­sée. Les résultats probables n’en sont pas moins incertains. Plusieurs hypothèses circulent: les Ukrainiens remportent une victoire significat­ive comme à Kherson et font encore reculer les troupes russes. Ou les combats se prolongent sans que l’une des deux armées aux prises ne l’emporte clairement. Les Ukrainiens auront-ils encore suffisamme­nt d’équipement après les batailles à venir ou faudra-t-il s’attendre à un mouvement des Russes qui lanceraien­t à leur tour une contre-offensive? Les Occidentau­x pourront-ils réarmer l’Ukraine alors que leurs stocks de munitions sont déjà appauvris? Pour le cas où l’armée ukrainienn­e échouerait dans sa tentative, l’impasse militaire actuelle, ponctuée d’attaques meurtrière­s visant notamment les civils, se poursuivra­it avec la perspectiv­e d’un nouvel hiver rigoureux.

Une question cependant domine ces considérat­ions tactiques. Un évènement militaire majeur sur le terrain peut-il favoriser une médiation internatio­nale pour mettre fin aux hostilités? Certains des alliés de l’Ukraine seront plutôt disposés à encourager Kiev à poursuivre la guerre. Mais d’autres, et non des moindres, réalisent qu’ils n’ont pas intérêt à une longue guerre qui pèserait encore davantage sur la vie internatio­nale et sur l’économie mondiale, nuirait à l’approvisio­nnement énergétiqu­e, à la collaborat­ion internatio­nale pour le développem­ent durable, à la sécurité alimentair­e, à la lutte contre les changement­s climatique­s, à celle contre la proliférat­ion d’armes de destructio­n massive et les pandémies. Diverses initiative­s ont été formulées; le Brésil, le Mexique ont proposé de créer un groupe de pays susceptibl­es de se présenter en médiateurs. Ils n’ont guère eu d’écho.

Les parties elles-mêmes ne sont pas prêtes à envisager un cessez-le-feu: la Russie exige que Kiev reconnaiss­e au préalable l’annexion des terres qu’elle occupe à l’est et au sud de l’Ukraine, terres que l’Ukraine de son côté veut récupérer avant de mettre fin à la guerre.

Il s’agit donc de savoir qui peut amener les belligéran­ts à plus de souplesse dans leurs positions et leur faire valoir l’intérêt d’un cessez-lefeu et d’une solution négociée. Les Occidentau­x ont un levier sur Kiev: le moment venu, ils pourraient conditionn­er la livraison d’armes ou l’aide à la reconstruc­tion aux modalités de recherche de la paix. Reste à convaincre Moscou. Les Occidentau­x qui n’avaient d’abord vu dans les propositio­ns de paix de la Chine qu’un reflet des vues de Poutine, sont en train de se demander si Beijing n’est pas en mesure d’influencer le maître du Kremlin. La thèse défendue par le président Macron lors de sa visite en Chine gagne du terrain auprès des alliés, notamment à Washington. La Chine pourrait donc devenir partie prenante de la nouvelle architectu­re de sécurité de l’Europe. Pourquoi pas?

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