Le battement d’ailes du «Colibri»
CINÉMA Adaptant un best-seller, Francesca Archibugi déroule le fil d’un roman familial autour d’un homme tenté par l’immobilité. Malgré la présence de Nanni Moretti, un film sans style ni âme
La participation de Nanni Moretti dans le rôle secondaire d’un psy a de quoi susciter une certaine curiosité cinéphile envers Il colibri, mais aussi de fausses attentes. Dans la filmographie du grand cinéaste-acteur italien, ce film est en effet à relier au seul réel faux pas de sa carrière: Caos calmo, lui aussi adapté d’un roman fêté de Sandro Veronesi, avec Moretti en vedette mais médiocrement porté à l’écran par Antonello Grimaldi en 2008.
A cette histoire d’un businessman en crise qui restait assis sur un banc de square répond aujourd’hui celle d’un médecin ancré dans une existence qu’il voudrait tranquille mais tiraillé par les femmes et les drames alentour. Cette fois, il s’agit de l’excellent Pierfrancesco Favino (Il traditore, Nostalgia), sous la direction très professionnelle mais aussi passe-partout de Francesca Archibugi (Verso sera, Il grande cocomero, il y a 30 ans).
Le premier acte se joue au début des années 1970. Durant des vacances familiales sur la côte toscane, le jeune Marco Carrera tombe amoureux de Luisa Lattes, la fille de voisins franco-italiens. Face à une dynamique familiale compliquée (père et mère désaccordés, frère rival, soeur étrange), l’affaire ne va pas plus loin. Mais en fait si: ils développent une amitié amoureuse au long cours qui perdurera par-delà leurs mariages respectifs, Luisa (Bérénice Bejo) à un Français et Marco à Marina (Kasia Smutniak), une hôtesse originaire des Balkans rencontrée suite à un accident d’avion dont ils ont réchappé de justesse. Encore des années plus tard, notre ophtalmologue reçoit à Rome la visite peu éthique d’un confrère, le psy de son épouse, qui déclenche une lente prise de conscience…
Sauts temporels et perte de sens
Un film où personne n’a de problèmes d’argent ni ne paraît travailler
Inutile d’en révéler plus, tant les événements vont s’accumuler dans un effarant va-et-vient temporel. Voulu «expérimental» dans sa forme, le roman a obtenu le Prix Strega (le Goncourt italien). Mais le film, lui, ne paraît qu’académique et bourgeois. Dans ces vies présentées en raccourci, les coups du sort s’empilent trop vite (suicide, infidélité, accident, trahison, maladie), et même si la réalisatrice parvient à faire en sorte qu’on ne s’y perde pas trop, qu’on s’y intéresse vraiment est une autre affaire. Bientôt arrivent les générations suivantes (une petite Adèle puis la fille métisse de celle-ci) et Marco le gentil «colibri» se transforme en papa poule. Il est également saisi par la passion du jeu et le film culmine lors d’une soirée de poker chez des aristos où il retrouve un vieil ami, scène clé dont la «leçon» semble être qu’il faut savoir se contenter de peu. Mouais…
Dans un film où personne n’a de problèmes d’argent ni ne paraît travailler, c’est un peu court. Et ce n’est pas la soudaine reconversion du psy Moretti dans l’humanitaire en Afrique qui va nous faire changer d’avis – on préfère de loin la scène dans laquelle il arbitre à sa manière un match de tennis. Entre un discours amoureux désabusé et une métaphore centrale platement énoncée (le colibri comme oiseau qui déploie toute son énergie à rester immobile), on perçoit surtout le déclin d’une génération à bout d’idées. Où Francesca Archibugi rejoint les fictions unanimistes de Cristina Comencini plutôt que de s’inspirer du bel exemple récent de Marco Bellocchio dans Fai bei sogni, rare best-seller transalpin transformé en véritable oeuvre de cinéma.
■ Il colibri, de Francesca Archibugi (Italie, France, 2023), avec Pierfrancesco Favino, Kasia Smutniak, Bérénice Bejo, Laura Morante, Sergio Albelli, Nanni Moretti, 2h06.