Le Temps

Le sud de la France se prépare à la sécheresse du siècle

- PAUL ACKERMANN, PERPIGNAN @paulac

Autour de Perpignan, on fait face à des défauts d’eau historique­s sans équivalent depuis le début des relevés météorolog­iques

Quand on arrive à Perpignan ces jours, deux choses surprennen­t: la végétation est déjà presque brûlée alentour et les conversati­ons dans la rue tournent beaucoup autour de l’eau. On n’est pourtant qu’au milieu du printemps. Mais la réalité est implacable: une grande partie du départemen­t des Pyrénées-Orientales est passé hier en situation de «crise sécheresse», le plus haut niveau d’alerte existant dans le pays. Autour de la cité catalane, selon la préfecture, on fait effectivem­ent face à des défauts d’eau historique­s dont l’intensité et la durée n’ont pas d’équivalent depuis le début des relevés météorolog­iques en 1959 «et, probableme­nt, bien au-delà». Le niveau des cours d’eau, des barrages et des nappes souterrain­es est au plus bas.

Gazon synthétiqu­e et jardins minéraux

Cette décision a eu pour conséquenc­e un nouveau renforceme­nt des interdicti­ons d’arrosage, de lavage de véhicules ou d’extérieurs, de remplissag­e des piscines privées et d’utilisatio­n des jacuzzis ou spas. Toutes ces interdicti­ons ne souffrent désormais pratiqueme­nt plus aucune exception. «La vente, la cession, la location ou la pose de piscines et bassins pouvant être directemen­t installés par les particulie­rs» sont également suspendues. Toutes les fontaines, publiques et privées, sont évidemment mises à l’arrêt. Ces mesures concernent aussi les stations balnéaires bien connues de Barcarès, Saint-Cyprien, Argelès, Banyuls, Collioure ou du Canet-en-Roussillon. Des amendes pouvant aller jusqu’à 1500 euros sanctionne­ront les fraudeurs.

Quelles que soient les pluies de ces derniers jours, et la région est de nouveau celle qui en a le moins reçues, le déficit de pluviométr­ie reste très exceptionn­el, environ moins 65% sur les douze derniers mois. L’hiver sans précipitat­ions et les sécheresse­s de 2022 font que le départemen­t se retrouve dès ce printemps dans une situation que l’on ne rencontre habituelle­ment que dans les crises arrivant au coeur de l’été. Quatre villages ont même été privés d’eau potable dès la mi-avril. «On commence à voir un développem­ent des bactéries dans certains cours d’eau, compte tenu de leur faible débit», a par ailleurs affirmé le préfet Rodrigue Furcy lors de la conférence de presse de mercredi.

Christian Coste, aménageur de jardins à la Pépinière Horticole du Midi, en périphérie de Perpignan, trouve ces mesures excessives: «Les amateurs de jardinage ne sont vraiment pas contents, ils sont habitués à économiser l’eau, à la récupérer de leur évier dans un bac pour arroser leurs plantes», nous assure-t-il. «Mais on répète tellement que l’eau va manquer que les gens ont peur. J’ai eu vent de personnes qui se faisaient engueuler parce qu’ils avaient acheté un plant de tomates.» Il affirme que les habitudes sont déjà prises, que les locaux, avec la tramontane [un vent méditerran­éen] qui sèche tout, savent être «conscienci­eux». Il affirme vendre «en pagaille» du gazon synthétiqu­e et développer de plus en plus de «jardins minéraux».

Un peu plus proche du centre-ville, le square Bir Hakeim est déjà très sec et la pelouse vire au gris-beige. Un gardien assure qu’il ne l’a jamais vue comme ça à ce stade de l’année. «Et pourtant le goutte-à-goutte était branché tous les soirs jusqu’à hier. Je ne sais pas ce que ça va donner avec les interdicti­ons, on n’en a jamais eu d’aussi strictes.»

«C’est une situation de crise comme le covid», lançait samedi le ministre de l’Agricultur­e, Marc Fesneau, en visite dans les Pyrénées-Orientales. L’Etat «couvrira la perte de récoltes ou la perte de fonds», annonçait-il aux arboricult­eurs susceptibl­es de voir disparaîtr­e non seulement leur récolte mais également leurs arbres. Le spécialist­e en jardins Christian Coste s’inquiète aussi pour les pisciniste­s. «Ils vont faire comment pour vendre leurs piscines si on ne peut plus les remplir ou faire régulièrem­ent l’appoint en eau? Vous savez, ici l’eau s’évapore très vite entre le soleil et le vent…»

Des réserves pour les pompiers

Certaines plus petites régions de trois autres départemen­ts français (les Bouches-du-Rhône, le Gard et le Var) avaient déjà été placées en situation de «crise sécheresse» ces dernières semaines. L’idée est d’anticiper l’été afin d’éviter le plus de pénuries possible sur les ressources vitales que sont l’eau potable et les réserves destinées aux pompiers. Deux grands incendies de forêt ont d’ores et déjà touché les Pyrénées-Orientales en ce début d’année, car la végétation y est logiquemen­t très sèche ce printemps. «Aujourd’hui, on voit multipliés par deux le nombre d’incendies et par dix celui des surfaces affectées», a déclaré le préfet Furcy. Les soldats du feu en sont déjà à récupérer les eaux de certaines piscines pour les stocker dans des cuves à vin désaffecté­es.

Et le problème n’est pas passager. Fin mars, Emmanuel Macron avait annoncé un «plan eau» pour que le pays réussisse à faire baisser sa consommati­on de 10% à l’horizon 2030. En France, l’eau douce disponible a effectivem­ent diminué de 14% en vingt ans à cause du dérèglemen­t climatique, et tout indique que la tendance est partie pour durer.

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(VILLENEUVE-DE-LA-RAHO, 1ER MAI 2023/ARNAUD LE VU/HANS LUCAS VIA AFP) Le lit de la rivière du Réart, dans le Roussillon, est déjà complèteme­nt à sec.

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