Réinventer le monde universitaire pour faire face aux défis actuels
Le monde académique est défectueux. Cette situation est plus grave que jamais, étant donné les défis environnementaux actuels. Récemment, j'ai assisté à un événement exceptionnel organisé par l'Université de Lausanne (la soirée du recteur), et en partant, je me suis senti profondément triste.
Durant cet événement, l'Unil présentait son travail à des chercheu-ses-rs, des politicien-nes-s et des personnes représentant des entreprises ou des associations. Les recherches et activités présentées étaient celles qui avaient le plus d'impact, qui avaient une réelle utilité pour la société et des connexions avec le monde extérieur. C'est en effet ce que l'université devrait faire et privilégier pour faire face aux grands défis d'aujourd'hui!
Cependant, la dynamique sous-jacente du recrutement des professeurs, et donc la dynamique globale à l'université, ne tient pas ou peu compte de l'impact réel du travail produit. Les critères principaux d'évaluation qui éclipsent toutes les autres considérations sont le nombre de publications scientifiques, de citations et le prestige académique des revues dans lesquelles les articles ont été publiés. Ce problème est tellement connu que la survie des scientifiques suit l'adage: «publier ou périr» (publish or perish).
Mais où est l'impact? Qu'en est-il des travaux liés à des problèmes réels et utiles au monde? Qu'en est-il de l'enseignement?
Que l'ensemble du processus d'engagement des professeur-es-s soit uniquement basé sur des publications dans des revues très spécialisées dans un environnement hautement compétitif signifie que se concentrer sur d'autres activités pourrait mettre fin à votre carrière académique. En tant que «jeune» chercheur, on m'a souvent dit d'arrêter d'enseigner parce que cela m'empêchait de publier davantage, alors que j'ai reçu des awards de meilleur enseignant. Au-delà de la transmission, je consacre également beaucoup d'efforts à la communication scientifique et à la vulgarisation sur les réseaux sociaux ou lors d'événements, autant d'activités qui sont soit ignorées, soit qui pèsent négativement sur mes candidatures à un poste de professeur et qui pourtant sont primordiales pour que la recherche sorte de sa tour d'ivoire académique.
Le budget suisse pour les universités se chiffre en milliers de millions de francs par an. Il est donc essentiel de rendre cette question visible et d'exiger un changement. C'est pourquoi, avec le professeur Guido Palazzo (HEC Lausanne, Unil), nous proposons une nouvelle méthode d'évaluation basée sur l'impact. Une méthode qui prendrait en compte les publications scientifiques mais aussi l'utilité de la recherche pour atteindre les objectifs de développement durable, les activités de communication, ainsi que toutes les activités d'enseignement au sein de l'université et au-delà (par exemple les articles de presse, le contenu en ligne, les événements publics, etc.) Ces nouveaux paramètres d'évaluation s'imposent d'autant plus que les indicateurs standard comme les citations ne permettent pas de prédire la qualité de la recherche et qu'ils sont même parfois associés négativement à la qualité des articles scientifiques (Dougherty et Horne (2022).
De plus en plus d'acteurs soulèvent cette question, mais nous devons passer des mots à l'action concrète. J'ai la chance de faire partie de l'Enterprise for Society Center (E4S), un «centre de recherche et action» créé par l'Unil, l'EPFL et l'IMD. E4S a pour mission d'inspirer une transformation sociale et économique tangible à travers la recherche universitaire, l'enseignement et le renforcement de l'écosystème local d'innovation. Bien que cette institution ne puisse pas offrir de poste de professeur et donc de poste permanent, elle montre la voie au changement.
Comme je l'ai dit à maintes reprises, depuis le début de ma carrière académique, j'ai pris position et je concentrerai mon travail sur l'impact et l'utilité pour la société, même au détriment de ma carrière académique. C'est l'impact sur le monde qui m'importe et c'est la raison pour laquelle je fais tout cela. C'est pour cela que je travaille jour et nuit! C'est pourquoi je passe des heures à réfléchir à la manière de partager ma passion avec les étudiants ou le grand public. J'encourage tou-tes-s les jeunes-s chercheu-ses-rs à se battre pour cela, à ne pas se décourager et les lectrices-eurs de ces mots à soutenir ce mouvement.
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On m’a souvent dit d’arrêter d’enseigner parce que cela m’empêchait de publier davantage