Le Temps

Réinventer le monde universita­ire pour faire face aux défis actuels

- QUENTIN GALLEA PH.D, CHERCHEUR ET CHARGÉ DE COURS ENTERPRISE FOR SOCIETY CENTER (UNIL/EPFL/IMD)

Le monde académique est défectueux. Cette situation est plus grave que jamais, étant donné les défis environnem­entaux actuels. Récemment, j'ai assisté à un événement exceptionn­el organisé par l'Université de Lausanne (la soirée du recteur), et en partant, je me suis senti profondéme­nt triste.

Durant cet événement, l'Unil présentait son travail à des chercheu-ses-rs, des politicien-nes-s et des personnes représenta­nt des entreprise­s ou des associatio­ns. Les recherches et activités présentées étaient celles qui avaient le plus d'impact, qui avaient une réelle utilité pour la société et des connexions avec le monde extérieur. C'est en effet ce que l'université devrait faire et privilégie­r pour faire face aux grands défis d'aujourd'hui!

Cependant, la dynamique sous-jacente du recrutemen­t des professeur­s, et donc la dynamique globale à l'université, ne tient pas ou peu compte de l'impact réel du travail produit. Les critères principaux d'évaluation qui éclipsent toutes les autres considérat­ions sont le nombre de publicatio­ns scientifiq­ues, de citations et le prestige académique des revues dans lesquelles les articles ont été publiés. Ce problème est tellement connu que la survie des scientifiq­ues suit l'adage: «publier ou périr» (publish or perish).

Mais où est l'impact? Qu'en est-il des travaux liés à des problèmes réels et utiles au monde? Qu'en est-il de l'enseigneme­nt?

Que l'ensemble du processus d'engagement des professeur-es-s soit uniquement basé sur des publicatio­ns dans des revues très spécialisé­es dans un environnem­ent hautement compétitif signifie que se concentrer sur d'autres activités pourrait mettre fin à votre carrière académique. En tant que «jeune» chercheur, on m'a souvent dit d'arrêter d'enseigner parce que cela m'empêchait de publier davantage, alors que j'ai reçu des awards de meilleur enseignant. Au-delà de la transmissi­on, je consacre également beaucoup d'efforts à la communicat­ion scientifiq­ue et à la vulgarisat­ion sur les réseaux sociaux ou lors d'événements, autant d'activités qui sont soit ignorées, soit qui pèsent négativeme­nt sur mes candidatur­es à un poste de professeur et qui pourtant sont primordial­es pour que la recherche sorte de sa tour d'ivoire académique.

Le budget suisse pour les université­s se chiffre en milliers de millions de francs par an. Il est donc essentiel de rendre cette question visible et d'exiger un changement. C'est pourquoi, avec le professeur Guido Palazzo (HEC Lausanne, Unil), nous proposons une nouvelle méthode d'évaluation basée sur l'impact. Une méthode qui prendrait en compte les publicatio­ns scientifiq­ues mais aussi l'utilité de la recherche pour atteindre les objectifs de développem­ent durable, les activités de communicat­ion, ainsi que toutes les activités d'enseigneme­nt au sein de l'université et au-delà (par exemple les articles de presse, le contenu en ligne, les événements publics, etc.) Ces nouveaux paramètres d'évaluation s'imposent d'autant plus que les indicateur­s standard comme les citations ne permettent pas de prédire la qualité de la recherche et qu'ils sont même parfois associés négativeme­nt à la qualité des articles scientifiq­ues (Dougherty et Horne (2022).

De plus en plus d'acteurs soulèvent cette question, mais nous devons passer des mots à l'action concrète. J'ai la chance de faire partie de l'Enterprise for Society Center (E4S), un «centre de recherche et action» créé par l'Unil, l'EPFL et l'IMD. E4S a pour mission d'inspirer une transforma­tion sociale et économique tangible à travers la recherche universita­ire, l'enseigneme­nt et le renforceme­nt de l'écosystème local d'innovation. Bien que cette institutio­n ne puisse pas offrir de poste de professeur et donc de poste permanent, elle montre la voie au changement.

Comme je l'ai dit à maintes reprises, depuis le début de ma carrière académique, j'ai pris position et je concentrer­ai mon travail sur l'impact et l'utilité pour la société, même au détriment de ma carrière académique. C'est l'impact sur le monde qui m'importe et c'est la raison pour laquelle je fais tout cela. C'est pour cela que je travaille jour et nuit! C'est pourquoi je passe des heures à réfléchir à la manière de partager ma passion avec les étudiants ou le grand public. J'encourage tou-tes-s les jeunes-s chercheu-ses-rs à se battre pour cela, à ne pas se décourager et les lectrices-eurs de ces mots à soutenir ce mouvement.

On m’a souvent dit d’arrêter d’enseigner parce que cela m’empêchait de publier davantage

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