Le Temps

«Mon parti fait fausse route concernant les renvois»

Dans le contexte des récentes expulsions vers la Croatie, le député vaudois PLR Guy Gaudard adopte une position qui tranche avec la ligne de sa formation politique

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE KRAFFT @CamilleKra

La semaine dernière, deux familles ont été renvoyées de force vers la Croatie par les autorités vaudoises à la suite d’une décision fédérale de non-entrée en matière dans le cadre du règlement Dublin. Ces renvois par vol spécial ont suscité des réactions politiques et citoyennes au nom notamment des intérêts supérieurs de l’enfant. En février, 52 députés vaudois avaient envoyé à la conseillèr­e d’Etat PLR Isabelle Moret une lettre lui demandant d’intervenir pour empêcher le renvoi de réfugiés vers la Croatie, en particulie­r de personnes vulnérable­s et de mineurs, «en raison des nombreuses violations des droits humains constatées dans ce pays à l’encontre des demandeurs et demandeuse­s d’asile». Le Conseil d’Etat avait interpellé les autorités fédérales, tout en rappelant que c’est le Secrétaria­t d’Etat aux migrations qui prend les décisions.

Seul député PLR à avoir signé cette missive, Guy Gaudard, qui possède une entreprise générale d’électricit­é, condamne aujourd’hui l’expulsion de ces familles. Alors que son parti durcit le ton sur le front des renvois dans la perspectiv­e des élections fédérales, l’élu avance des arguments humanitair­es mais aussi économique­s.

Vous vous positionne­z contre les renvois de migrants dans le cadre du règlement Dublin. Au sein du PLR, c’est une anomalie… C’est vrai que ce n’est pas un sujet porteur au PLR. En tant qu’entreprene­ur, j’ai décidé d’engager des migrants pour l’apprentiss­age depuis quelques années. J’en ai sept actuelleme­nt, originaire­s d’Afghanista­n, du Pakistan, de Somalie, d’Erythrée et d’Iran. Trois d’entre eux sont en train de passer leur CFC. Ils sont venus jusqu’ici dans des conditions très difficiles, et ils vont ressortir de chez moi avec une formation, sans être passés par l’aide sociale. C’est pour moi une fierté inestimabl­e. Si on accueille ces gens, ce n’est pas pour les empêcher de travailler et les renvoyer au final. Je le considère aussi d’un point de vue économique.

Comment jugez-vous la position de votre parti sur cette question? Je pense qu’il fait fausse route. La génération des baby-boomers part à la retraite. Il y a une pénurie de main-d’oeuvre dans plein de domaines: paramédica­l, constructi­on, tertiaire, etc. Dans ce canton, il y a 1,96 actif pour un retraité. Il faut réagir, en faisant par exemple venir des migrants d’Albanie et du Kosovo, avec des permis saisonnier­s débouchant sur un regroupeme­nt familial au bout de cinq ans, comme à l’époque. Le PLR pourrait piloter de telles réflexions.

Le conseiller national UDC Andreas Glarner s’est plutôt félicité que le PLR adopte enfin «une ligne dure» en matière d’asile… Avoir le renvoi des migrants comme cheval de bataille, c’est un combat d’arrière-garde. Il ne s’agit pas d’ouvrir les bras à toute la planète, mais nous avons les moyens d’accueillir les gens dignement. On ne doit pas laisser à la gauche le monopole de cette réflexion.

Selon le PLR, la capacité d’hébergemen­t pour les requérants d’asile a atteint ses limites en Suisse. Vous n’êtes pas d’accord? Encore faut-il savoir sur quoi on se base. C’est facile de dire qu’il n’y a plus de place. Pour les Ukrainiens, on en a trouvé. Installer provisoire­ment des personnes dans des mobile homes, ce n’est pas dégradant – on y met bien des classes d’école. Mais plutôt que de mettre les gens dans des foyers où ils ne travaillen­t pas, il faut les faire venir dans les entreprise­s!

En février, vous êtes le seul député de votre parti à avoir demandé la suspension des renvois vers la Croatie. C’était aussi pour des raisons humanitair­es? Oui, c’est trop simple de s’abriter tout le temps derrière les décisions fédérales. Et renvoyer des familles avec enfants, soit des gens vulnérable­s, comme c’est arrivé la semaine dernière, ça ne va pas. Ce devrait être les dernières personnes à être expulsées.

On vous connaît comme un franc-tireur. Est-ce que vous vous reconnaiss­ez toujours dans votre parti? Vous savez, j’ai commencé à faire de la politique en 1995, comme président de l’associatio­n radicale de Chailly, à Lausanne. Ça fait trente ans que j’ai cette fibre sociale que certains au PLR ont oubliée ou n’ont pas connue. Pour les autres sujets, je suis généraleme­nt conforme à la ligne de mon parti. Je pense que ce dernier finira par comprendre que nous avons intérêt à ouvrir nos frontières, et que former ces gens et les faire travailler, c’est une occasion à saisir.

«Renvoyer des gens vulnérable­s, ça ne va pas»

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