Le Temps

Les 50 ans de l’affaire Perroud

-

En cette fin de saison footballis­tique, un anniversai­re a sans doute échappé, même aux plus fins connaisseu­rs et fines connaisseu­ses du football suisse masculin: les 50 ans de «l’affaire Perroud». Le 9 février 1973, Georges Perroud décide d’attaquer en justice son club d’alors, le Servette FC. La raison? Déroulons le fil de l’histoire. Au début des années 1970, dans un contexte de profession­nalisation du football dans la plupart des pays européens, la situation des joueurs semi-profession­nels en Suisse devient difficile. Entraîneur­s et public sont de plus en plus exigeants, tandis que les footballeu­rs doivent disposer d’une lettre de sortie rédigée par leur club pour être transférés, et ce même lorsqu’ils sont en fin de contrat. Tant que ce document n’est pas délivré, le joueur ne peut changer de formation, à moins d’observer une pause de deux ans avant de retrouver sa liberté.

La législatio­n va toucher de plein fouet l’internatio­nal suisse Georges Perroud qui évolue au Servette FC. Une blessure puis un changement d’entraîneur lui font perdre sa place de titulaire au sein de la défense du club grenat. Dans la foulée, et sans concertati­on avec le joueur, la direction genevoise place Perroud sur la liste des transferts pour la saison suivante. L’échec d’une négociatio­n et le prix demandé par Servette dissuadent de possibles courtisans (dont le Lausanne-Sports). A l’automne 1972, la situation est donc bloquée. Malgré le fait qu’il n’a formelleme­nt plus de contrat avec son ancien club, Perroud n’est pas autorisé à jouer dans l’élite et se retrouve à exercer quelque temps comme entraîneur au sein du FC Versoix, au niveau amateur.

Le football se joue au tribunal

Afin de régler le litige, Perroud décide de prendre les services d’un avocat en la personne de Me Gérard Montavon, spécialist­e du droit du travail. A la suite de l’échec d’une nouvelle conciliati­on avec le Servette, ce Jurassien d’origine va pousser Perroud à défendre son bon droit devant la justice. Le joueur dispose rapidement d’un soutien auprès de journalist­es influents en Suisse romande, tels Eric Walter (Radio suisse romande, juriste de formation) et Norbert Eschmann (24 heures, ancien joueur internatio­nal), qui n’hésitent d’ailleurs pas à régulièrem­ent tancer les autorités du football sur le statut des footballeu­rs. Après une défaite en première instance et une victoire lors d’un recours défendu auprès du Tribunal des prud’hommes du canton de Genève, l’affaire va prendre une nouvelle tournure lorsque avec le soutien des autorités suisses du football (ASF et Ligue nationale), le Servette FC porte l’affaire devant le Tribunal fédéral.

Les juges fédéraux réexaminen­t le dossier au printemps 1976 et la cour estime que Perroud a été entravé dans l’exercice de son emploi. Le Servette est donc condamné. Mais le principal enjeu est ailleurs: le Tribunal fédéral considère que la législatio­n en place dans le football helvétique «viole de manière inadmissib­le le droit des joueurs d’exercer librement leur activité».

Un véritable métier

Le lendemain, l’«affaire Perroud» fait la une des journaux. Ce jugement ne fait pas que donner gain de cause à un footballeu­r, il a aussi un impact décisif sur la profession­nalisation du football suisse masculin. Premièreme­nt, dans les mois qui suivent, plusieurs joueurs signent un contrat en tant que profession­nels. Deuxièmeme­nt, les footballeu­rs commencent à se représente­r davantage le football comme un véritable métier et se réunissent au sein d’une organisati­on profession­nelle: la Fédération suisse des joueurs de football (FSJF). Enfin, un nouveau règlement est élaboré par les autorités du football qui officialis­e la libération des joueurs à la fin de leur contrat. La lettre de sortie est donc définitive­ment abolie!

Pour autant, les autorités gardent la main: non-reconnaiss­ance de la FSJF comme interlocut­rice officielle, contrats de plus longue durée conclus par les clubs et instaurati­on d’une Chambre de la ligue qui permet de statuer sur les futurs litiges. «La liberté pour les footballeu­rs» évoquée par 24 heures au sortir du jugement de l’affaire Perroud n’est donc pas encore de mise… ■

Pour plus de détails sur le sujet: Philippe Vonnard, Jérôme Berthoud, «Liberté pour les footballeu­rs. L’affaire Perroud et la question du profession­nalisme dans le football suisse», 20 & 21. Revue d’histoire, vol. 155, no 3, 2022, pp. 89-101.

 ?? ?? PHILIPPE VONNARD ET JÉRÔME BERTHOUD, CENTRE INTERDISCI­PLINAIRE DE RECHERCHE SUR LE SPORT DE L’UNIL
PHILIPPE VONNARD ET JÉRÔME BERTHOUD, CENTRE INTERDISCI­PLINAIRE DE RECHERCHE SUR LE SPORT DE L’UNIL
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland