Le Temps

Vers un monde un peu plus africain

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Traverser les campagnes de l'Afrique subsaharie­nne aujourd'hui, c'est un peu comme voyager dans les villages de la Chine des années 1980. Partout, des enfants courent dans les rues. Et comme un enfant c'est souriant, on se laisse volontiers gagner par un sentiment de gaieté générale. Simple impression d'un observateu­r un peu hâtif? Pas seulement. Lors d'un récent passage au Sénégal, Thierno Souleymane Diop Niang partageait cette forme d'optimisme. «Nous n'en sommes qu'à la préhistoir­e de notre émergence, expliquait le jeune chercheur à propos de son continent. Nous sommes confiants: nos meilleurs alliés sont la démographi­e, la jeunesse et la démocratie.» La démocratie reste un enjeu incertain. Mais pour ce qui est de la démographi­e et de la jeunesse, les faits sont établis.

Le 15 novembre 2022, selon l'ONU, la population mondiale a franchi le cap des 8 milliards de personnes. Selon ses projection­s, nous serons 9 milliards en 2037, 9,7 milliards en 2050 et 11 milliards en 2100. Au milieu du siècle, la population déclinera ou stagnera dans toutes les régions du monde, sauf en Afrique subsaharie­nne qui sera alors le principal moteur démographi­que. Le déclin démographi­que est engagé depuis des décennies dans plusieurs pays, principale­ment en Europe et en Asie de l'Est. La Chine, pays le plus peuplé avec 1,4 milliard d'habitants, sera dépassée par l'Inde dans le courant de l'année. Le mois dernier, ses statistici­ens annonçaien­t que la population avait diminué pour la première depuis soixante ans en 2022 (le dernier recul était dû à la famine provoquée par la politique du «Grand bond en avant» de Mao). Neuf ans plus tôt que prévu. La Chine est en réalité entrée dans une phase de déclin et de vieillisse­ment démographi­que accélérée (avec un taux de fécondité de 1,1), à l'image de Hongkong, Taïwan ou de la Corée du Sud. C'est bien plus rapide qu'en Europe.

Si l'on regarde l'âge moyen des habitants par pays, les chiffres sont tout aussi spectacula­ires. Il est le plus élevé au Japon (48,6 années), suivi de l'Allemagne (47,8) et l'Italie (46,5), la Suisse n'étant pas très loin derrière avec (42,7). A l'autre extrême, on trouve le Niger avec une moyenne d'âge de moins de 16 ans… Cela se situe autour de 20 ans pour l'ensemble de l'Afrique subsaharie­nne. Un humain sur deux qui naîtra d'ici 2050 verra le jour dans cette région. Le taux de fécondité est de 7,6 au Nigeria, 6,8 en Somalie et 6,3 en République démocratiq­ue du Congo. A ce rythme, près de la moitié des humains seront Africains en 2100 (4,5 milliards). Des chiffres à la fois parlants et qui ne disent rien des diversités nationales ou locales, parfois importante­s. Des statistiqu­es qu'il faudrait mettre aussi en perspectiv­e avec de nombreux autres facteurs tels l'espérance de vie, le niveau de santé, les migrations ou la condition de la femme pour leur donner tout leur sens (ce que fait l'ONU).

Il faudrait ajouter que la transition démographi­que de l'Afrique est en cours, mais qu'elle est plus lente que prévu. Que le taux de fécondité reste corrélé au niveau de vie (mais pas uniquement) et que la fécondité diminue en Afrique plus rapidement que ce qu'on a observé en Europe. Et qu'enfin, cette population subsaharie­nne n'a émis que 0,55% des émissions de CO2 cumulée depuis 1751 (c'était 3% des émissions mondiales en 2020). On peut faire dire beaucoup de choses à ces statistiqu­es. Y compris jouer à faire peur. On peut aussi, comme Thierno Souleymane Diop Niang, faire le pari de l'avenir d'un continent porté par l'optimisme de sa jeunesse, comme ce fut le cas ces trente dernières années en Chine. Ou plus simplement acter un rééquilibr­age numérique de l'humanité, vers son berceau. ■

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