Le Temps

Arrestatio­ns en série en Belgique

Plusieurs coups de filet dans les milieux extrémiste­s en quelques semaines donnent l’impression d’une menace terroriste qui augmente. Mais le niveau d’alerte reste à 2 sur 4. Décryptage avec un criminolog­ue

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES @vdegraffen­ried

La menace terroriste serait-elle en train de prendre l’ascenseur en Belgique? Plusieurs arrestatio­ns survenues ces dernières semaines forment, mises bout à bout, un tableau un brin anxiogène. Le 27 mars d’abord. Huit individus de la mouvance djihadiste sont arrêtés, à Bruxelles, Eupen et dans le nord du pays, dans le cadre de deux affaires. Ils sont soupçonnés d’avoir voulu préparer un attentat terroriste sur sol belge. Le 3 mai, c’est au tour d’un Irakien suspecté d’avoir commis des crimes de guerre à Bagdad et qui vivait comme réfugié en Belgique depuis 2015 de se faire interpelle­r. Il aurait participé à des attentats à la voiture piégée dans la capitale irakienne en 2009 et 2010. Des attentats qui ont fait plus de 376 morts. Le suspect aurait fait partie d’une cellule terroriste d’Al-Qaida.

D’origine tchétchène

Le lendemain, le 4 mai, sept partisans du groupe Etat islamique – dont des femmes –, la plupart d’origine tchétchène, sont arrêtés, un coup de filet qui s’est déroulé dans plusieurs villes. Ils sont eux aussi soupçonnés de préparer un attentat terroriste en Belgique. Le jour même, le ministre de la Justice Vincent Van Quickenbor­ne s’est félicité, sur VRT, de l’efficacité des services de sécurité et de renseignem­ent. «On a repéré ces personnes à temps et on a pu intervenir. Ce n’est pas un hasard. Nos services de renseignem­ent ont été renforcés et disposent de nettement plus de personnel et d’outils, a souligné le ministre. Grâce à une loi votée l’année dernière, ils ont des yeux et des oreilles dans les groupes de discussion fermés et peuvent intervenir si nécessaire.»

Ces trois affaires n’ont a priori aucun lien direct entre elles. Assiste-t-on à un excès de zèle des forces de l’ordre? Ou la menace a-t-elle vraiment augmenté? Ces interpella­tions intervienn­ent alors que les attentats de Bruxelles du 22 mars 2016 sont au coeur d’un procès retentissa­nt. Revendiqué­s par l’Etat islamique, ils avaient fait 32 morts et plus de 340 blessés. Parmi les accusés figure Salah Abdeslam, déjà condamné pour son rôle dans les attentats de novembre 2015 en France. Le 10 novembre 2022, un crime en particulie­r avait suscité beaucoup d’émoi dans la capitale belge: un jeune policier a été tué à Bruxelles d’un coup de couteau dans le cou par un ex-détenu qui s’est radicalisé en prison. Sur la RTBF, Eric Snoeck, patron de la police judiciaire fédérale, rappelait le 24 mars, donc avant les trois coups de filet précités, que des «attentats sont encore régulièrem­ent, ou en tout cas ponctuelle­ment, évités par nos services ou par les services de renseignem­ent en Belgique». Il réagissait notamment à l’arrestatio­n, en février, d’un homme soupçonné de vouloir commettre un attentat lors de l’élection de Miss Belgique et à l’interpella­tion d’un jeune de Louvain converti à l’islam suspecté de planifier un acte terroriste. Ce dernier conservait notamment des vidéos de l’Etat islamique sur son téléphone portable.

L’Organe de coordinati­on pour l’analyse de la menace (OCAM), l’agence fédérale chargée d’évaluer le degré de la menace terroriste, estime qu’il n’y a pour autant pas lieu de revoir le niveau de la menace en Belgique: il reste actuelleme­nt au palier 2 («moyen») sur 4. L’organe a recensé 215 «signalemen­ts de menace en lien avec le terrorisme ou l’extrémisme» en 2022, un chiffre comparable à 2021. En revanche, l’OCAM précise constater une «augmentati­on significat­ive du nombre de menaces envers les services de police».

Pour Michaël Dantinne, professeur à la Faculté de droit, de science politique et de criminolog­ie de l’Université de Liège, les arrestatio­ns récentes en matière de terrorisme doivent d’abord être lues comme résultant d’un changement de politique communicat­ionnelle au sein des services de sécurité. «Vraisembla­blement lassés de n’être évoqués que pour une mise en cause possible (justifiée ou non) de leur défaillanc­e, ces services, en Belgique comme ailleurs dans le monde, ont désormais décidé de communique­r par eux-mêmes sur des «succès», afin de rétablir une certaine image mais aussi d’éviter une démoralisa­tion aussi réelle que délétère au sein de leurs effectifs», souligne l’expert. Dans le cas des jeunes Tchétchène­s, «il semble que les autorités aient été confrontée­s à un groupe qui, bien que n’ayant pas encore déterminé une cible, cherchait néanmoins activement des armes». «Cela a semblé suffisant pour déclencher l’interventi­on.»

Surveillan­ce des réseaux sociaux

La question du timing de l’interventi­on est très délicate. «Une arrestatio­n avant l’heure, c’est la possibilit­é de passer à côté d’individus liés à ceux interpellé­s et qui se trouveraie­nt accélérés dans leur projet d’attentat par ces arrestatio­ns. C’est un peu l’histoire des attentats du 22 mars 2016, où les arrestatio­ns de Salah Abdeslam et Sofiane Ayari ont clairement précipité le passage à l’acte du reste de la cellule, dans le temps et l’espace.» A l’inverse, attendre trop longtemps, c’est prendre le risque que les individus concernés se «soustraien­t à la surveillan­ce, sortent du radar dans la phase finale de leur projet terroriste, et commettent l’attentat tant redouté», précise le professeur.

Pour l’instant, pour ce qui est du groupe des Tchétchène­s, les sept personnes interpellé­es ont toutes été placées en détention préventive. La suite de la procédure permettra de déterminer si les forces de l’ordre sont intervenue­s au bon moment et de manière justifiée ou non.

Le cas de l’Irakien est différent. «Car il semble que ce soit sur informatio­n de services étrangers, notamment irakiens, que l’individu a pu être identifié, puis localisé en Belgique», commente Michaël Dantinne. «C’est donc plus un dossier d’entraide internatio­nale qu’une enquête propre aux services belges. Il est d’ailleurs vraisembla­ble que cet individu sera, à court ou moyen terme, extradé vers l’Irak pour y être jugé, la Belgique ayant juste été ici le bras armé de la lutte contre le terrorisme.» Surtout, l’individu est arrêté pour des actes commis à l’étranger. Rien ne prouve à ce stade qu’il représenta­it une menace pour la sécurité intérieure de la Belgique.

Malgré leurs différence­s, ces affaires mettent notamment en exergue des progrès dans les méthodes d’investigat­ion, par exemple pour ce qui est de la surveillan­ce des réseaux sociaux. «Mais l’attentat du 10 novembre 2022, où un policier a été mortelleme­nt blessé, a démontré qu’il y avait encore pas mal de pain sur la planche dans la lutte contre le terrorisme qui, à bien des égards, est un éternel recommence­ment», résume le criminolog­ue. ■

«Les services de police ont décidé de communique­r sur leurs «succès», afin de rétablir une certaine image»

MICHAËL DANTINNE, PROFESSEUR DE CRIMINOLOG­IE À LIÈGE

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