A la recherche des disparus de la guerre au Soudan
Près de 200 familles ont perdu le contact avec un proche depuis le début du conflit. Des activistes, opérant dans ce domaine depuis quatre ans, se mobilisent
Mercredi dernier, ses deux frères et son père ont profité d’une accalmie pour aller récupérer des affaires abandonnées dans leur maison en pleine zone de combat. Depuis, Magzoub al-Sheikh, un commerçant, a perdu leur trace. «Je pense qu’ils ont été arrêtés», craint cet habitant de Khartoum. Depuis la guerre amorcée le 15 avril, au moins 190 personnes sont ainsi portées disparues. Ce chiffre émane des informations recoupées par cinq bénévoles qui enquêtent sur ces citoyens égarés, kidnappés ou tués.
Travail récompensé
«On parle de civils, de militaires, d’étrangers ou de migrants…», précise Fadia Fadoosh, la cofondatrice de cette initiative qui assiste les proches des disparus depuis le 3 juin 2019. A cette date, un sit-in révolutionnaire avait été démantelé dans une violence inouïe, à coups de balles, viols et multiples exactions. Seuls 127 corps avaient été retrouvés tandis que des dizaines d’autres familles n’ont jamais revu leurs enfants. Fadia Fadoosh et ses collègues mettent désormais leur savoir-faire au service des victimes du conflit opposant le chef de l’armée, le général Abdel Fattah al-Burhane, et le patron de la redoutable milice des Forces de soutien rapide (FSR), le général Mohamed Hamdan Dagalo dit «Hemeti».
«Nos principales actions consistent à collecter des données, des numéros de téléphone, les lieux de disparition et toute autre information nécessaire que nous publions sur notre page Facebook, détaille Fadia Fadoosh. Nous contactons ensuite les hôpitaux et les comités de quartier qui enterrent les corps abandonnés dans les rues. Nous comparons ces photos avec celles des individus recherchés. Ces comités de riverains nous informent aussi s’ils retrouvent, par exemple, des enfants égarés…» Ce travail acharné porte parfois ses fruits. Le 11 mai, deux femmes âgées ont ainsi été localisées. Elles s’étaient cachées pour se protéger des bombardements. Ces tirs à l’arme lourde continuent à ravager la capitale mais aussi d’autres régions, en particulier le Darfour-Occidental. Le bilan national excède les 750 morts. «Pendant que je vous parle, un avion de guerre survole notre maison», témoignait vendredi matin Nisreen bin Auf, depuis Omdurman, à l’ouest de la capitale. Son mari, le photographe Osman German, est lui aussi engagé pour aider à retrouver les citoyens manquant à l’appel. Le couple est resté près de quatre semainesde leur ami Abdul Muntalib. «Nous avons tenté de lui téléphoner. Un soldat des FSR a décroché et nous a dit qu’ils l’avaient arrêté», rapporte le mari. Abdul Muntalib n’a aucun lien avec l’armée. Ce boucher était de passage à Khartoum pour transporter des animaux vers Kosti, à 300 km au sud, qu’il comptait vendre pour l’Aïd. Il n’est pas non plus connu comme un activiste révolutionnaire.
Scepticisme
Par contre, l’arme qu’il avait empruntée à son hôte policier a pu lui porter préjudice… «Il voulait se protéger en partant chercher à manger», reprend Osman German. Les riverains ont en effet pris l’habitude de sortir équipés d’un pistolet ou d’un bâton alors que la criminalité a envahi les rues, désertées par les agents de maintien de l’ordre. Les miliciens des FSR contribuent à cette situation de non-droit. «Ils ne visent personne directement mais tuent, tirent, arrêtent, volent, frappent et s’introduisent dans les foyers de manière aléatoire et chaotique», décrit la bénévole Fadia Fadoosh. Elle précise que d’autres forces sont vraisemblablement impliquées dans les disparitions.
Du 7 au 8 mai, l’armée a détenu deux jeunes qui aidaient bénévolement à évacuer un hôpital de Bahri piégé par les bombes. Les généraux les ont accusés à tort de soutenir Hemeti. Au même moment, les FSR ont finalement relâché Saad Eltinay, photographe invité aux Rencontres d’Arles en 2021, embarqué à son domicile le 28 avril. Ses proches auraient été questionnés sur son potentiel ralliement aux troupes régulières. «Il habite à côté d’une base des FSR. Les paramilitaires ont dû avoir peur qu’il documente les combats», suggère son confrère Osman German.
Dans la déclaration de principes paraphée le 11 mai à Djeddah, en Arabie saoudite, les deux camps se sont engagés à cesser les disparitions forcées et détentions arbitraires de civils. Amjed Farid, conseiller de l’ex-premier ministre Abdallah Hamdok, commente sur Twitter : «Les six cessez-lefeu humanitaires annoncés par les États-Unis et de l’Arabie saoudite n’ont jamais atteint cet objectif auparavant, qu’est-ce qui a changé ? » Ce traité a néanmoins permis la relaxe de détenus, dont le boucher Abdul Muntalib, a appris son ami Osman German vendredi en fin d’après-midi. ■