Le Temps

Trois acteurs à la cour de Louis XV

Benjamin Lavernhe, Melvil Poupaud et Pierre Richard évoquent leur expérience de tournage, qui a eu lieu en partie au château de Versailles

- S. G.

Benjamin Lavernhe, La Borde

«Le premier valet de chambre était le plus proche conseiller du roi, il dormait au pied de son lit, et si le roi avait un seul ami, c’était sûrement lui. Il est à la fois son confident et son garde du corps. Dans le film, mon personnage est un mélange de deux valets de Louis XV, La Borde et Lebel. Mais à part la fonction, Maïwenn a tout inventé. Sa mission est d’introduire Jeanne à la cour et de lui apprendre les usages de Versailles; c’est celui qui l’aide à être la meilleure des favorites, et je pense qu’il se prend d’amitié pour elle. Il est déstabilis­é, car si elle déclenche les foudres elle sait aussi charmer, elle a une lumière dont il est le premier témoin, et quelque part la première victime. Louis XV, Jeanne et La Borde forment un vrai trio, il y a du respect et de l’estime. Sur un tournage comme celui-ci, on n’est pas uniquement acteur, on est aussi spectateur, on assiste au spectacle d’un tournage. Je me suis pris dans la gueule l’histoire de France, mais aussi celle du cinéma avec Pierre Richard et Johnny Depp, c’était émouvant. Johnny Depp était très chaleureux, il aime beaucoup rire, même si au travail on était hyper impliqués et parfois aussi épuisés. J’ai très vite senti qu’il était content qu’on parle des scènes, qu’on se propose des petites choses, qu’on parle de notre lien. Le rapport à la concentrat­ion était assez naturel, on pouvait plaisanter et tout à coup se mettre à jouer. Il me faisait parfois des blagues jusqu’à la dernière seconde, et même lors des prises, il me faisait des grimaces lorsqu’il était en contrecham­p. Je suis sûr que cette complicité nous a aidés. Car c’est toujours pareil au cinéma, vous avez des scènes d’intimité avec des gens que vous ne connaissez pas, comme lorsque vous jouez un couple qui est ensemble depuis vingt ans et que vous rencontrez votre partenaire le matin même. Ce métier est fou, un peu tordu.»

Melvil Poupaud, le comte du Barry

«Maïwenn, que je connais depuis longtemps, m’a beaucoup impression­né. En France, on ne produit pas beaucoup de choses de cette ampleur. Il y a bien des films avec de gros budgets, mais qui ne sont pas comme celui-ci des oeuvres d’auteur intimistes. Un portrait de femme avec autant de moyens, c’est rare, et c’est même exceptionn­el compte tenu du fait que Maïwenn n’avait encore jamais fait ce genre de film et qu’on y trouve une star comme Johnny Depp. Sur le plateau, je l’ai découverte comme un poisson dans l’eau, passant facilement de son travail d’actrice à la mise en scène, et capable de tout changer au dernier moment sans peur, si tout à coup le plan qu’elle avait en tête ne marchait pas. Elle est très méticuleus­e et a une grande autorité, lorsqu’elle ne le sent pas, tout le monde la suit. Un bon metteur en scène, ce n’est pas celui qui arrive avec le story-board et qui fait exactement ce qui est écrit sur le plan de travail; s’il voit qu’un acteur n’a pas l’air au top, que la lumière n’est pas bonne, qu’il y a un problème, il change, il réagit. Il est dans le réel. J’aime les rôles intéressan­ts, complexes, qui ouvrent des portes. J’envisage le métier d’acteur presque comme un explorateu­r, et un rôle comme celui-ci me donne l’impression de rentrer dans un territoire, de creuser, de me transforme­r et de vivre une aventure puis d’en ressortir un peu transformé. La beauté du cinéma de Maïwenn, c’est qu’elle connaît la vie, elles ne catégorise­nt pas ses personnage­s, elle sait que ce n’est pas parce que quelqu’un est horrible avec vous à un moment qu’on va le détester pour toujours.»

Pierre Richard, le duc de Richelieu

«Physiqueme­nt, je ne m’aime pas dans ce film. Ça fait trente ans que j’ai une barbe et j’ai dû la raser, j’ai même mis une perruque… On dirait ma mère! Jusqu’ici, j’ai presque toujours joué des personnage­s qui étaient un peu moi. Yves Robert me l’avait dit: tu n’es pas un acteur, tu es un personnage, tu fais ton propre cinéma. Dans Jeanne du Barry, je joue un rôle qui n’a rien à voir avec ce que je suis, et c’est pour cela que j’ai dit oui. Mais en même temps, j’avais peur de ne pas être à la hauteur parce que je ne pouvais pas me servir de mes armes. Maïwenn m’a en quelque sorte mis tout nu… Heureuseme­nt, le costume m’a aidé à entrer dans le personnage. Le duc de Richelieu, qui est un des meilleurs amis du roi, est machiavéli­que. Il a connu la Jeanne du Barry, et il l’a même bien connue… Lorsque son mari, le comte du Barry, veut la présenter pour une raison mercantile à Louis XV, il va jouer les intermédia­ires. Mais Richelieu n’est pas qu’un salaud, il a aussi des sentiments. Si les personnage­s de Maïwenn sont intéressan­ts, c’est parce qu’ils gardent toujours une part d’humanité. Il y a une scène où je lui dis qu’il ne faut pas qu’elle vive comme cela toute sa vie… avant de la culbuter sur la table. A Versailles, les gens faisaient la guerre, chassaient, jouaient, et pour le reste c’était un vrai baisodrome, il faut bien le dire!»■

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