L’âpre beauté de la poésie romanche
Passeuse émerveillée, la poétesse, éditrice et traductrice genevoise Denise Mützenberg fait paraître une belle anthologie de poésie romanche aux Troglodytes. Après avoir publié des écrivains renommés (Rut Plouda, Dumenic Andry, Leta Semadeni), la maison fait la part belle aux nouvelles plumes. Cinq jeunes autrices sont présentées par un choix de leur oeuvre, chacune écrivant dans son idiome (ce n’est pas un patois, insiste l’éditrice, mais bel et bien à chaque fois une «langue» différente). Et même si le sutsilvan, par exemple, n’est parlé que par 600 locuteurs dans la région du Val Schons, qu’importe: il est riche d’une littérature à part entière, d’une façon unique de phraser, de dire et de rêver le monde, d’aimer et de pleurer.
Ces textes en sursilvan, en surmiran, en puter et en vallader sont traduits par Denise Mützenberg et par Isa Terrol Valls. On peut les savourer en bilingue, s’imprégner de leur musique, passant de la Haute à la Basse Engadine, du Val Müster à Maloja, sans oublier Zernez, le Rhin antérieur, la Lumnezia ou la région de Savognin. Il a fallu à l’éditrice de la patience et beaucoup de curiosité pour dénicher ces plumes. Quelle belle moisson, au final, et quelle chance pour le lecteur de les découvrir en français!
Carin Caduff travaille les mots et les laisse lever comme une pâte à pain dans Se rouler dans les mots («Serullar els plaids», en sursilvan). Gianna Olinda Cadonau déroule en vallader son histoire familiale dans les textes les plus saisissants du recueil, notamment le poème Soeur («Sour»). Jessica Zuan évoque merveilleusement le passage du temps en idiome puter (Fenaison, «Fneda»). Dominique Caglia compose des ritournelles ensorcelantes en surmiran
(Le rRre et ses visages, «Igl reir e las sias fatschas»), et Martina Cantieni dépouille le sutsilvan à l’os (Nager, «Sanudar»).
■ Julien Burri