Le Temps

«Le réchauffem­ent climatique n’induit pas la fin de l’humanité»

Non seulement on ne va pas mourir calcinés, mais on vivra même mieux demain, assure le conseiller d’Etat genevois Antonio Hodgers dans son «Manifeste pour une écologie de l’espoir», copublié par «Le Temps» et Heidi.news

- Marie-Pierre Genecand

«D’ici à 2090, le Plateau suisse connaîtra le climat actuel du sud de l'Italie. Que se passera-t-il alors? L'agricultur­e devra évoluer, tout comme l'urbanisme qui devient déjà plus résilient aux îlots de chaleur. De nouvelles espèces vont proliférer aux dépens d'autres et on cultivera des orangers ou des oliviers à la place de nos vergers traditionn­els. La question du stress hydrique se posera de manière accrue, avec des épisodes de plus grandes précipitat­ions suivis de phases de sécheresse, d'où la pertinence d'installer des bassins de rétention.»

«Cependant, il sera toujours possible d'y mener une vie épanouie! Si nous redéfiniss­ons nos priorités en éliminant le superficie­l au profit de l'essentiel, tous les services seront fonctionne­ls, de la formation à la santé, en passant par la culture et le monde du travail. Je ne crois pas que quelques degrés de plus peuvent, sous nos latitudes, remettre fondamenta­lement en cause la possibilit­é d'avoir une vie heureuse et prospère. On sera encore loin de ce qui s'est passé lors des guerres ou des grandes dépression­s économique­s.»

Qui parle ainsi? Un chevalier de l'économie libérale? Un climatosce­ptique? Que nenni. Ces propos sont tenus par Antonio Hodgers, conseiller d'Etat écologiste genevois dans son Manifeste pour une écologie de l’espoir. A l'occasion de cette publicatio­n, première de la nouvelle collection Kraft coéditée par Le Temps, Heidi.news et Georg, le magistrat s'est extrait de la gestion du quotidien pour développer une vision plus large et plus philosophi­que du défi climatique.

Grand bien lui fasse, car son ouvrage préfacé par Erik Orsenna donne de l'air aux idées, même si les experts du GIEC semblent nettement plus alarmés. Ce que refuse Antonio Hodgers? Les notions de panique, justement, type «on a trois ans, sinon c'est foutu!». Et de collapsolo­gie, cette science de l'effondreme­nt qui enténèbre notre jeunesse et les personnes fragiles psychologi­quement. Les discours culpabilis­ants, aussi, qui «braquent ou dépriment les gens plus qu'ils ne les incitent à modifier leurs comporteme­nts».

Ce que prône l'auteur? Une vision positive et réjouie de l'écologie sachant que les changement­s imposés par la réalité climatique ne pénalisero­nt pas notre quotidien, mais, au contraire, l'améliorero­nt.

La crise profite à notre santé

«Prenez la mobilité», commente le magistrat au téléphone. «N'est-ce pas plus libérateur de combiner les transports en commun et un trajet à vélo à l'air libre plutôt que de passer une heure et demie dans un bouchon? Aujourd'hui, les automobili­stes peuvent encore s'infliger un tel châtiment. Lorsque le pétrole sera rare ou que la Suisse aura fait le choix politique de diminuer de moitié son importatio­n, le meilleur scénario leur sera imposé et, dans leur corps comme dans leur tête, ils sortiront gagnants.»

C'est peut-être parce qu'il a connu la dictature argentine enfant qu'Antonio Hodgers refuse de voir le pire dans le réchauffem­ent. «Bien sûr, il faut prendre des décisions claires et courageuse­s pour diminuer l'empreinte carbone et, en la matière, je prône la responsabi­lité collective plutôt que la culpabilis­ation individuel­le. Mais lorsque j'entends que des jeunes adultes refusent de faire des enfants par peur de l'avenir, je tombe à la renverse, car, une fois encore, dans nos contrées, je leur fais le serment qu'au cours du XXIe siècle les conditions de vie seront tout à fait acceptable­s.»

Par contre, dans son essai, le politicien s'inquiète pour «les peuples d'ores et déjà appauvris qui vivent dans des régions aujourd'hui semi-désertique­s, dans les deltas et sur les petites îles». Pour ces 15% de la population mondiale forcée à migrer, «la question des solidarité­s internatio­nales sera au coeur des débats et vient à peine d'être ébauchée dans les conclusion­s de la COP27 en 2022, avec l'adoption du principe d'un fonds «pertes et préjudices». Tout reste à faire en termes de solidarité», alerte l'auteur.

A travers cette entame relativeme­nt rassurante pour nos contrées, on pourrait presque penser qu'Antonio Hodgers invite la Suisse à attendre le réchauffem­ent climatique, les bras croisés. Ce n'est évidemment pas le cas. Impliqué et concret, son Manifeste présente de nombreuses solutions collective­s, donc politiques, à apporter à ce péril. «Je vois trois niveaux d'action: l'innovation technologi­que, l'investisse­ment dans les infrastruc­tures et l'évolution des comporteme­nts de consommati­on», écrit l'élu écologiste en relevant que ces solutions sont souvent gagnant-gagnant.

Un plus pour l’emploi local

Un exemple? «Renforcer l'isolation des bâtiments permet à la fois de fortement diminuer la dépense énergétiqu­e tout en produisant de l'activité économique pour les entreprise­s locales et leurs ouvriers et apprentis. Ici, l'écologie sert l'emploi local.»

Pareil dans la diminution de la consommati­on de viande rouge. «Il se trouve que l'associatio­n des nutritionn­istes recommande la même chose pour des raisons médicales, là l'écologie sert la santé publique», se réjouit Antonio Hodgers. Qui retrouve ce phénomène vertueux dans la préservati­on de la qualité de l'air, de l'eau, des sols et des produits agricoles. «Il y a de multiples liens qui unissent les intérêts personnels et locaux aux intérêts globaux. A nous de les illustrer afin de faire coïncider le projet de la neutralité carbone avec celui d'une société prospère et qualitativ­e.»

Et cette dernière suggestion, pour la bonne bouche: «Puisque demain on aura besoin de moins de voitures, le profil de compétence des employés liés à la fabricatio­n, la distributi­on et la réparation d'automobile­s pourrait être assez facilement adapté à l'industrie des panneaux solaires, qui va se renforcer.»

En plus de ces décisions politiques, Antonio Hodgers annonce que notre rapport à la consommati­on devra être revisité, puisque nous aurons moins de biens matériels. «Ce sera l'occasion de gagner en temps de qualité avec nos proches et nos amis ce qu'on perdra en temps d'achats. Je rappelle juste que, depuis les années 1970, le sentiment de bonheur de la population occidental­e n'a pas augmenté malgré l'explosion de la consommati­on.»

Le «juste prix»

Et parce qu'il est fan des récits fondateurs, de ceux qui «nourrissen­t un corps social», l'auteur se projette: «Deuxième moitié du XXIe siècle, on peut imaginer un niveau de consommati­on équivalent à celui des années 1960 occidental­es, à savoir bénéfician­t d'un certain confort (électricit­é et eau courante, chauffage, électromén­ager, déplacemen­ts, etc.), mais avec moins de voitures, plus de produits frais et locaux, moins de viande et plus de réemploi d'objets.» Quid du numérique? «Il sera toujours là et permettra de nouvelles libertés, si l'on est attentif aux règles éthiques et à une certaine sobriété.»

«Le monde de demain ne sera pas un monde de privation ou de rationneme­nt, précise encore le politicien, mais bien celui du «juste prix», qui tient compte du coût réel du produit consommé, à savoir sa valeur économique additionné­e de sa valeur sociale et écologique réelle.» Qui pourrait se plaindre d'un monde redevenu humain? ■

Antonio Hodgers, «Manifeste pour une écologie de l’espoir (Ed. «Le Temps», Heidi.news et Georg).

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