Le Temps

Le malentendu climatique

- BERTRAND PICCARD PRÉSIDENT DE LA FONDATION SOLAR IMPULSE

J’aurais préféré qu’on l’appelle «loi pour la modernisat­ion et l’efficience du pays». Car c’est de cela qu’il s’agit.

Tout notre fonctionne­ment est encore basé sur des technologi­es archaïques et des infrastruc­tures inefficien­tes qui, non seulement polluent, mais aussi gaspillent les ressources et engendrent des coûts exorbitant­s pour la population. On consomme quatre fois plus d’énergie au km avec un moteur thermique qu’avec un moteur électrique; nos bâtiments sont mal isolés et souvent chauffés avec des combustibl­es fossiles alors qu’ils pourraient être neutres en CO2; les sources renouvelab­les sont devenues moins chères que le pétrole et le gaz, et comprennen­t bien plus que le solaire et le vent: on oublie les déchets agricoles pour produire du biogaz et les rivières pour y installer de petites turbines hydroélect­riques. Sans même parler de la géothermie de surface. L’économie circulaire permettrai­t de valoriser les déchets. Tant d’opportunit­és industriel­les sont manquées en restant prisonnièr­es de vieilles habitudes!

En appelant la loi «loi climat», on a réactivé les fantasmes anti-écologique­s

Alors oui, il s’agit bien d’électrifie­r notre société pour la rendre plus efficiente et par conséquent moins chère. On est donc exactement à l’inverse des 6600 francs par personne que coûterait soi-disant la loi, selon les opposants qui négligent les récentes avancées technologi­ques, et ne voient pas la transition écologique comme une opportunit­é économique à saisir. Rien qu’en remplaçant tous les radiateurs à résistance par des pompes à chaleur et les ampoules à incandesce­nce par des LED, on économiser­ait une puissance équivalent­e à deux centrales nucléaires. Alors où est le «gaspillage d’électricit­é» redouté par les adversaire­s? Dans le futur? Au contraire, il est dans notre quotidien, et c’est cela qui doit changer.

De plus, en diminuant les importatio­ns d’énergies fossiles pour favoriser la production d’électricit­é renouvelab­le et locale, on augmente l’indépendan­ce énergétiqu­e du pays. Voilà autant d’arguments pour réjouir en théorie la totalité des partis politiques. Autre tour de force, cette loi n’introduit ni nouvelles taxes, ni interdicti­ons. Ce qu’elle se propose de faire est de créer la nécessité légale d’adopter enfin des solutions propres et efficiente­s. Alors que s’est-il passé pour qu’on en arrive à un référendum?

En l’appelant «loi climat», on a réactivé les fantasmes anti-écologique­s. C’est vrai qu’on n’évitera pas les changement­s climatique­s en supprimant les émissions carbonées de la Suisse, soit 0,1% du total mondial, même si chacun doit faire sa part. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

Bien sûr que la neutralité carbone impliquera des investisse­ments: 12,9 milliards de francs par an (ou 2% de notre PIB) selon les opposants. Notons que ce chiffre représente à peu près les importatio­ns annuelles de produits pétroliers! Même le Conseil fédéral reconnaît que le coût de l’inaction serait bien plus élevé: jusqu’à 4% du PIB! Il faut aussi comprendre que ce ne sont pas des coûts, de l’argent perdu comme quand on importe du pétrole ou du gaz à grands frais, mais des financemen­ts qui enrichiron­t le pays. Cela ne représente pas plus que les milliards qui sont de toute façon investis chaque année en infrastruc­tures, constructi­ons et production d’électricit­é ou de chaleur, alors autant que cet argent soit utilisé pour des technologi­es modernes, propres et efficiente­s plutôt que pour nous acharner dans la voie sans issue de systèmes démodés et beaucoup trop chers.

Le seul bon argument que je peux entendre, même s’il n’apparaît qu’en filigrane, est la peur du changement. C’est exact qu’il va falloir dorénavant fonctionne­r différemme­nt pour fonctionne­r mieux. Cela impliquera pour certains opposants de perdre des avantages personnels en tant qu’importateu­rs de véhicules thermiques ou d’huile de chauffage. Mais pouvons-nous freiner l’évolution d’un pays entier pour les intérêts particulie­rs de certains? Une reconversi­on dans le futur n’est-il pas un défi beaucoup plus intéressan­t que de s’arc-bouter sur le passé?

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