Un genre de mobilité
L’appel a été lancé: nous sommes en route pour la grève féministe du 14 juin. Mais de quelle route parle-t-on ici? Cheminons-nous vraiment ensemble, hommes, femmes et minorités de genre? Dans le cadre de mon mandat de députée, je découvre les rouages politiques de la mobilité, et je suis frappée de l’absence de thématisation des questions de genre dans ce domaine.
Premier constat: les femmes et les hommes ne font pas les mêmes trajets. Les déplacements des hommes sont dominés par les trajets pendulaires, reflétant la valorisation particulière du travail dans notre société. Les femmes pendulent aussi, mais moins. Surtout, elles accomplissent également nombre de trajets moins visibles, correspondant à ce qu’on pourrait appeler les trajets du care : amener les enfants à la crèche, au parascolaire, au sport, à la musique, chez les grands-parents; faire les courses; accompagner en tant que proche aidante chez la ou le médecin, chez la ou le physio, à la pharmacie, etc.
Le nombre de trajets pendulaires se stabilise et c’est réjouissant. Mais qu’en est-il de l’ensemble de ces autres déplacements? Mieux répartis sur la journée, ils congestionnent moins les routes. De ce fait, ils sont moins visibles, mais leur empreinte carbone n’en est pas réduite pour autant. Pourtant ils semblent absents du débat politique. On peut même se demander s’ils sont perçus par les planificateurs, encore si souvent des hommes.
En effet, je suis frappée de la prédominance masculine au sein des experts de la mobilité. C’est comme si je me retrouvais dans la cour d’école, où les garçons étaient incités à jouer au train électrique et aux petites voitures. On trouve quelques femmes bien sûr, à qui on attribue en général la mobilité cycliste et piétonne. Néanmoins, la gestion des gros budgets routiers et ferroviaires reste en main masculine.
Cette distribution genrée des domaines d’expertise se retrouve aussi de façon stéréotypée au sein des ménages. L’homme choisit le véhicule. Gros investissement, certains diront que c’est légitime, puisqu’il a en général le salaire le plus élevé. L’automobile est un des indicateurs les plus importants de prestige et de statut social. Le marketing l’a bien compris, et est diablement efficace puisque la puissance et la taille des véhicules circulant en Suisse ne cessent d’augmenter. Aux femmes, on vend des arguments de sécurité largement trompeurs: en particulier, on omet de mentionner que les gros véhicules sont plus dangereux pour les autres usagères et usagers de la route, notamment les cyclistes, les enfants, les piétonnes et les piétons. La mise en circulation de ces grosses cylindrées accroît le sentiment d’insécurité, renforçant ainsi la perception de devoir véhiculer autrui comme mentionné plus haut, et augmentant de fait le nombre de trajets effectués en véhicule privé.
Je suis frappée de la prédominance masculine au sein des experts de la mobilité
Voici donc mes messages pour ce 14 juin: prenez en charge votre mobilité et autorisez la raison plutôt que le prestige à guider vos choix de mode de transport. Répartissez les trajets de manière égale au sein du ménage et insistez pour y réaliser la transition écologique. Plaidez pour moins de voitures et, s’il en faut vraiment, qu’elles soient petites et électriques. Encouragez les enfants à se déplacer à pied, à faire du vélo et à prendre le bus.
Le report modal pour les flux pendulaires c’est bien, mais ça ne sera pas suffisant pour tenir nos engagements en termes de réduction d’émissions de CO2. Il faut aussi réinventer l’ensemble de ces trajets du quotidien. Cela implique des mesures structurelles, telles que la journée continue pour les enfants ou la mutualisation de l’utilisation des bâtiments publics, mieux desservis par les transports en commun. Cela implique surtout une meilleure prise en compte de l’ensemble des trajets effectués, et d’adapter les méthodologies utilisées dans les études de planification. Ingénieures et ingénieurs, pensez carbone et pas uniquement congestion!
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