L’utilité des adages boursiers dans des marchés compliqués
Comme chaque année à pareille époque, le célèbre dicton «sell in May and go away» refleurit de partout. L’occasion de questionner les fondements théoriques et l’éventuelle validation empirique de différentes maximes vieilles comme le monde boursier. Et de voir si elles peuvent encore être d’une quelconque utilité dans le contexte actuel, et pour le moins complexe, des marchés financiers.
Commençons par la prétendue saisonnalité des marchés. L’investisseur devrait-il vraiment solder ses positions en actions au mois de mai, pour ne s’y réintéresser qu’une fois arrivés les frimas automnaux? Et le «rallye de décembre» est-il un mythe ou une réalité?
Du point de vue fondamental, le mois de mai suit la période d’annonces des résultats du premier trimestre. Un argument pour une détérioration de la performance des indices boursiers pourrait donc être une déception des investisseurs quant aux chiffres publiés, ou aux perspectives évoquées par les sociétés pour le reste de l’exercice. Voire simplement si, dans les cycles de forte conjoncture, les bonnes nouvelles sont déjà largement intégrées dans les cours dès lors que les bénéfices des trois premiers mois de l’année ont été rendus publics.
Quant au mois de décembre, il est vrai que c’est une période durant laquelle les sociétés et fonds de pension ont tendance à ajuster leur bilan et vouloir montrer, à la clôture annuelle des comptes, qu’elles détiennent les actions vedettes de l’année écoulée – quitte à doper encore un peu plus leurs cours. Réaliser des moins-values sur des titres qui ont mal performé peut aussi réduire leur facture fiscale.
Voilà pour la théorie. La réalité est cependant tout autre. Depuis 1985, de tous les mois de mai, 76% se sont inscrits en hausse pour l’indice S&P 500, c’est-à-dire trois années sur quatre, avec une performance médiane de 1,2%. Laquelle est d’ailleurs très proche de celle du mois de décembre sur la même période!
Bref, si certaines divergences de performance peuvent effectivement être observées selon le mois de l’année, les statistiques ne peuvent pas être considérées comme significatives et n’apportent pas d’eau au moulin des tenants d’une saisonnalité des marchés.
La tendance, une amie?
Autre dicton boursier très populaire: «the trend is your friend», que l’on pourrait traduire par «rien ne sert d’aller contre le vent». Il s’agit là de reconnaître combien une dynamique de marché peut s’avérer puissante, à la hausse comme à la baisse. Ce phénomène a vraisemblablement été accentué par la part grandissante de gestion indicielle. Les flux entrants dans un ETF sont investis selon les poids des composants de l’indice sous-jacent, renforçant la performance des titres qui ont déjà le plus progressé et pénalisant les derniers de la cote – et ce indépendamment de leurs fondamentaux ou de leurs ratios de valorisation.
L’essor de l’investissement algorithmique, basé essentiellement sur des signaux boursiers, ainsi que des plateformes de trading en ligne, qui ont amené un public plus inexpérimenté, donc plutôt suiveur par nature, sont d’autres facteurs pouvant expliquer la persistance de certaines tendances de marché.
La tech et le franc
Un exemple marquant est la surperformance colossale de la technologie entre 2008 et 2022. Sans exposition à ce secteur durant cette période, point de salut pour l’investisseur. De même, tenter de prendre le contre-pied de la tendance résolument haussière du franc suisse contre euro au cours des dernières années aurait été contre-productif – en dépit de tous les efforts de la BNS.
Tout observateur avisé des marchés aura constaté que les mauvaises nouvelles viennent rarement seules
Cela étant, lorsqu’un mouvement perdure excessivement, au point de se transformer en bulle déconnectée des réalités fondamentales ou, à la baisse, d’atteindre des niveaux de négativité et de sous-valorisation excessifs, il faut aussi savoir s’en détacher. Sinon, l’ami risque bien de se transformer en ennemi. En témoignent la sous-performance marquée de l’indice Nasdaq (fortement exposé aux valeurs technologiques) en 2022 et la renaissance du pétrole en avril 2020.
Le couteau qui tombe
«Never catch a falling knife» (ne jamais attraper un couteau qui tombe) pourrait être considéré comme le corollaire du précédent adage. Puisque la persistance d’une tendance vaut généralement aussi dans le sens baissier, rien ne sert de se précipiter pour acheter un titre ou un indice aux premiers stades de sa correction.
Tout observateur avisé des marchés aura constaté que les mauvaises nouvelles viennent rarement seules, et qu’un accroc dans le parcours d’une société tend à enclencher une spirale négative longue, parfois même impossible à enrayer (l’exemple de Credit Suisse venant bien sûr immédiatement à l’esprit).
Mais là encore, la réalité empirique n’est pas si tranchée. En 1987, par exemple, le krach boursier a été une affaire d’un jour seulement. Et plus récemment, le fort repli des marchés actions au début de la pandémie de Covid-19 a duré à peine plus d’un mois. Les investisseurs qui ont renforcé leur exposition assez vite dans cette correction ont été ensuite gratifiés d’un doublement de l’indice S&P 500 sur les 21 mois suivants.
Le canon et le clairon
Terminons par un dicton boursier malheureusement rendu d’actualité par la guerre en Ukraine: «acheter au son du canon, vendre au son du clairon». Faut-il vraiment renforcer la part des actifs risqués dans un portefeuille lorsque l’inquiétude et l’incertitude sont à leur paroxysme, pour les revendre une fois la paix revenue?
Si une telle approche peut faire sens d’un point de vue contrarian, relevons qu’elle est directement contradictoire avec les deux adages boursiers précités. Et surtout, une fois encore, qu’elle n’est pas systématiquement étayée par les faits.
En guise de conclusion, permettez au vétéran des marchés financiers que je suis de partager son sentiment. Il est vraiment exceptionnel de vivre un tel enchaînement de crises, plus graves les unes que les autres, et de devoir suivre des rotations sectorielles aussi marquées et rapides qu’au cours des deux dernières années. La tentation de se tourner vers une gestion indicielle, ou de se raccrocher à quelques anciennes maximes, peut être grande. L’histoire démontre cependant que la gestion active et l’analyse fondamentale – dont je suis toujours un fervent défenseur – restent la meilleure façon de gérer son patrimoine. ■