Les femmes universitaires n’ont pas moins d’ambition que les hommes
Une étude de l’Université de Zurich qui tente d’expliquer pourquoi les femmes sont sous-représentées dans les postes académiques à responsabilités suscite un tollé en Suisse alémanique, y compris chez beaucoup d’hommes
«La plupart des étudiantes préfèrent un homme qui réussit plutôt que de faire carrière elles-mêmes», affirmait le 7 mai la SonntagsZeitung, s’appuyant sur une étude de l’Université de Zurich. Depuis, le débat flambe en Suisse alémanique, à la fois sur le contenu de l’étude d’ailleurs non publiée et non révisée par des pairs (peer-reviewed), ses méthodes et son traitement médiatique.
Objectif visé par les deux chercheuses à l’origine de ce travail: expliquer pourquoi plus on grimpe dans la hiérarchie des postes académiques, moins il y a de femmes. Leur sondage questionne 9000 étudiants sur leurs opinions en matière de carrière, famille, couple et discrimination. Les résultats, ou plutôt ce que chacun croit y voir, n’arrêtent pas, depuis, d’alimenter la controverse.
Pour Michael Hermann, directeur de l’institut de sondage Sotomo, le problème est double: le traitement par la SonntagsZeitung et l’étude elle-même. Pour lui, le pire est dans le titre de l’hebdomadaire: «Prétendre que les jeunes femmes ne cherchent qu’un homme riche, c’est tout simplement faux. L’étude ne dit pas cela. Or c’est désormais ce que tout le monde retient dans le pays.» Que les résultats d’une recherche soient politiquement pris dans un sens ou dans l’autre, l’expert l’a déjà observé via les publications de Sotomo. «Mais jamais je n’ai vu de nouveaux faits être inventés et ajoutés.»
D’après le journal dominical alémanique, cette étude «contredit tout ce que l’on pourrait attendre d’un environnement progressiste comme l’université». Car, dit encore l’article, la sous-représentation des femmes dans les postes à responsabilités ne tient pas à la discrimination ou à des conditions plus difficiles pour les mères, mais au fait que de nombreuses étudiantes ont peu d’ambitions de carrière et que leur image de la famille reste conservatrice: «Elles ont tendance à préférer un partenaire plus âgé et ayant plus de succès qu’elles.» Et lorsqu’elles ont un enfant, «elles veulent travailler à temps partiel, l’homme devant assurer le revenu principal à plein temps». Conclusion: puisque les femmes renoncent à une carrière par préférence personnelle, les mesures visant à améliorer les conditions d’accès aux postes à responsabilités n’ont pas ou peu d’utilité.
«Une lecture simpliste»
Pour Markus Theunert, de Männer.ch, faîtière d’organisations de pères et d’hommes, «cette lecture simpliste instrumentalise les résultats pour prétendre que les divisions traditionnelles entre hommes et femmes sont la norme aujourd’hui. Or ce que relève le journal de cette étude est simplement partial, quand ce n’est pas simplement faux.» Après s’être procuré le sondage auprès de ses autrices – il n’a pas encore été publié –, il en donne sa propre lecture sur le blog de männer.ch, très différente de celle de la SonntagsZeitung.
Ainsi selon le sondage, seules 23% de toutes les femmes interrogées dans des «disciplines féminines» (soit composées de 70% de femmes ou plus) et 28% dans des «disciplines masculines» aspirent à un poste de direction. Or, parmi les étudiants interrogés, il y a aussi des hommes et ces derniers n’ont pas beaucoup plus d’ambition que leurs collègues féminines, relève Markus Theunert: ils sont seulement 25% dans les disciplines à majorité féminines (2% de plus que les étudiantes) et 35% dans les disciplines où l’on trouve davantage d’hommes (7% de plus que leurs consoeurs) à souhaiter un poste à responsabilités.
«Comment peut-on honnêtement conclure que les femmes cherchent un pourvoyeur de la famille?» MARKUS THEUNERT, MÄNNER.CH
«Il n’y a pas de quoi y voir une différence fondamentale entre les hommes et les femmes. Ce résultat est très intéressant d’un autre point de vue: seuls un tiers des étudiants, tous sexes confondus, aspirent encore à des postes à responsabilités. A quoi cela tient-il? Peut-être parce qu’une part toujours plus grande d’hommes comme de femmes associe responsabilités à usure et songe à deux fois aux prix que représente une carrière. Peut-être aussi que pour de nombreux jeunes aujourd’hui, la qualité de vie, le temps personnel et la famille ont plus d’attrait que le stress et l’argent.»
Non seulement la lecture mais la méthode même du sondage interroge. Signe de la fébrilité du débat, mardi le Tages-Anzeiger (même groupe que la SonntagsZeitung) publie une analyse critique sur cette même étude, avec ce titre: «Les étudiantes suisses sont-elles de futures petites ménagères? Mon oeil!» «Il est indéniable qu’il existe des différences de comportement en fonction du sexe. En déduire que les femmes renoncent à des carrières en raison de penchants féminins est inadmissible», estime la journaliste Jacqueline Büchi, pour qui les résultats ne montrent pas que les mesures en faveur de l’égalité sont obsolètes, mais plutôt à quel point elles font défaut.
La journaliste relève aussi un biais du sondage: le questionnaire demande aux participants à quel taux ils souhaiteraient travailler avec de jeunes enfants. Seules les personnes qui indiquent «à temps plein» peuvent ensuite préciser qu’elles souhaitent faire carrière. Celles qui choisissent 80% ne se voient pas proposer cette option par l’étude. Comme si hors du temps plein il n’y avait pas de carrière envisageable.
C’est également ce que déplore Michael Hermann: l’étude ne propose que deux modèles, poursuivre une carrière à 100% ou s’occuper de la famille tout en travaillant à 60% ou moins. «Il n’y a aucune alternative, par exemple, où les deux travaillent à 100%, pas de 80%, pas de possibilité de faire carrière et de s’occuper de la famille, etc.»
D’ailleurs en y regardant de plus près, le sondage indique que seules 22% des femmes dans les sphères à majorité féminine et 34% de celles étudiant dans les domaines où les hommes sont plus nombreux souhaitent un partenaire travaillant à temps plein lorsqu’il y a des enfants. La majorité des étudiantes interrogées (entre 54 et 57%) espèrent un partenaire qui travaille à 60%. «Je me demande comment on peut honnêtement en conclure que les femmes attendent de leur partenaire d’être le principal pourvoyeur de la famille», souligne Markus Theunert. On voit encore que 55 à 74% des hommes pensent vouloir travailler à 60% ou moins au moment de fonder une famille. «Les femmes à temps partiel cherchent des hommes à temps partiel et vice-versa.»
De là à prétendre qu’on fait dire ce que l’on veut aux chiffres… ■