Le Temps

Des clients suisses toujours dans l’attente

JUSTICE Pour obtenir une indemnisat­ion, certains clients helvétique­s ont fait le choix de porter leur cas devant les tribunaux allemands. En Suisse, les procédure pénales et civiles se heurtent toujours à de nombreux obstacles

- ÉTIENNE MEYER-VACHERAND @etiennemey­va

Presque huit ans après les révélation­s du Dieselgate, les suites judiciaire­s de l’affaire sont loin d’être achevées. Les aveux de Rupert Stadler, l’ancien président d’Audi, filiale du groupe Volkswagen, closent un des volets pénaux des poursuites, mais au civil de nombreuses actions collective­s et individuel­les sont encore en cours. Les clients suisses, eux, ont toujours du mal à obtenir réparation.

Au total, 11 millions de véhicules du constructe­ur automobile allemand ont été concernés par l’installati­on de dispositif­s permettant de truquer leurs émissions polluantes lors de tests. Révélée en 2015 par l’Agence américaine de protection de l’environnem­ent, la fraude a conduit à la démission de Martin Winterkorn, à la tête du groupe à cette époque, dont le procès est encore attendu. Volkswagen est le constructe­ur le plus touché, mais certains de ses concurrent­s font aussi l’objet d’enquêtes.

En mai 2022, le groupe allemand a par exemple accepté de verser la somme de 233 millions de francs à 91 000 automobili­stes britanniqu­es s’estimant lésés dans l’affaire des moteurs truqués en guise d’indemnisat­ion. En mars dernier, la justice française refusait de mettre fin aux poursuites contre le constructe­ur. Volkswagen arguait qu’il ne pouvait pas être poursuivi une seconde fois pour des faits déjà jugés par la justice allemande. En revanche, en Suisse, où environ 175 000 véhicules ont été concernés selon les estimation­s du Ministère public de la Confédérat­ion (MPC), les demandes de réparation­s peinent à aboutir et jusqu’à présent, aucune poursuite pénale n’a été engagée.

C’est du côté de l’Allemagne que certains clients suisses ont entrevu une lueur d’espoir en juin 2022. A la suite d’une décision de la Cour fédérale, leurs prétention­s à une indemnisat­ion sont évaluées par un tribunal. Ils sont environ 2000 à avoir pris la décision de porter leur cas de l’autre côté de la frontière, faute de possibilit­é de mener une action collective en Suisse.

Des procédures qui avancent doucement en Suisse

Deux ans après le début du scandale, la Fédération romande des consommate­urs (FRC) avait conseillé aux acheteurs s’estimant lésés de céder leurs créances au prestatair­e allemand de services juridiques Financialr­ight dans le cadre de l’initiative MyRight pour porter l’affaire devant la justice allemande. Cette action collective, qui intègre aussi les revendicat­ions de 6000 clients slovènes, repose sur un principe de cession des créances à cette société. Cette dernière finance l’action en justice sans que les plaignants aient à débourser un centime, et perçoit une commission en cas de condamnati­on.

Le constructe­ur allemand avait contesté la compétence de Financialr­ight à représente­r ces clients étrangers. Le Tribunal de deuxième instance de Brunswick lui avait donné raison dans un premier temps, avant que la Cour fédérale ne casse cette décision et renvoie ces dossiers devant la justice pour examen.

En Suisse, la situation peine à se débloquer. En 2017, la SKS, l’associatio­n des consommate­urs alémanique­s, avait tenté d’entreprend­re une action groupée pour 6000 clients. Le Tribunal fédéral avait débouté l’organisati­on en février 2019.

Une condamnati­on a eu lieu en octobre 2021, à l’initiative de l’avocat genevois Jacques Roulet. Le Tribunal de première instance de Genève a annulé un contrat de vente d’un véhicule et imposé à Amag le remboursem­ent de la voiture. La société importatri­ce a cependant fait appel de la décision.

Celui-ci, qui représente plusieurs centaines de clients ayant acheté des véhicules du groupe Volkswagen, n’a toujours pas perdu espoir de pouvoir utiliser ce premier procès-pilote comme d’un appui pour obtenir une réparation dans d’autres dossiers. «Je n’ai pas eu de réponse à ma propositio­n de rencontrer des personnes d’Amag et de Volkswagen pour trouver un accord», ajoute-t-il cependant. Pour certains acheteurs, il est aussi déjà trop tard pour espérer une éventuelle indemnisat­ion, du fait de la prescripti­on de leurs droits.

Pour Jacques Roulet, il y a un point positif inattendu dans cette affaire: la relance de la procédure pénale. «A la faveur des changement­s au sein du MPC, nous avons deux nouvelles procureure­s qui ont repris le dossier, et qui ont décidé de procéder à des auditions de personnes de Volkswagen qui sont en cours», détaille l’avocat. Fin 2021, le MPC avait annoncé son intention de clore la procédure engagée contre Volkswagen et Amag, l’importateu­r des véhicules du groupe allemand, fin 2021. Le procureur en charge de l’affaire estimait qu’il n’y avait pas de «base suffisante pour rendre une ordonnance pénale ou pour une mise en accusation». Un délai avait été donné aux parties plaignante­s pour déposer des réquisitio­ns de preuves, qui sont en cours de traitement, précise le MPC. ▅

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