Le Temps

La santé globale en quête d’une gouvernanc­e solide

A l’heure où se tient la 76e Assemblée mondiale de la santé en présence de nombreux ministres, l’idée d’un examen universel de l’état de santé et de préparatio­n de chaque Etat fait son chemin. Celui-ci pourrait aider à mieux affronter une future pandémie

- STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

En annonçant la fin de la pandémie le 5 mai dernier, l’OMS a tourné une page dramatique de l’histoire sanitaire mondiale. Selon les dernières statistiqu­es de l’agence onusienne, le Covid-19 a fait près de 7 millions de morts et peut-être même le double. La pandémie a fortement impacté les économies et a aussi eu un autre coût moins visible: nombre de progrès accomplis dans la lutte contre certaines maladies comme la malaria ou la tuberculos­e ont été anéantis.

C’est sur cette toile de fond que se réunit jusqu’à la fin mai, à Genève, la 76e Assemblée mondiale de la santé (AMS). A l’heure où l’OMS célèbre ses 75 ans d’existence, le bilan à tirer en matière de gouvernanc­e globale de la santé est contrasté. D’un côté, l’OMS s’est rendue plus incontourn­able que jamais, mais avec un paradoxe. Elle n’a pas les moyens de ses ambitions avec un budget qui équivaut à celui des Hôpitaux universita­ires de Genève. L’AMS va toutefois faire un important bond en avant en acceptant d’augmenter de 20% les contributi­ons obligatoir­es des 194 Etats membres de l’OMS. Cette dernière sera moins tributaire de contributi­ons volontaire­s qui représente­nt aujourd’hui 80% de son financemen­t et qui privent l’OMS de toute prévisibil­ité budgétaire.

Deux processus de réforme en cours ont le potentiel d’améliorer de façon substantie­lle la capacité de la planète à se préparer et à riposter à une future pandémie. Le premier vise à doter l’organisati­on d’un traité pandémique censé améliorer le partage de données au début d’une épidémie. Il vise aussi à faciliter l’accès aux vaccins et à en régionalis­er la production. Pékin est réticente au partage universel. L’Europe et les Etats-Unis rechignent à assouplir les règles de propriété intellectu­elle, élargissan­t le fossé avec le Sud encore irrité par l’incapacité du Nord de garantir une distributi­on équitable des vaccins. Pour l’heure, le document d’un possible traité reste un fourre-tout sans objectif clair. A un an de l’échéance pour aboutir à un texte solide, les Etats membres de l’OMS sont encore très loin d’un traité digne de ce nom.

Le second processus consiste à moderniser un Règlement sanitaire internatio­nal, la «Bible de l’OMS», devenu en partie obsolète. Rien ne dit toutefois que ces réformes débouchero­nt sur un renforceme­nt substantie­l de l’OMS. Des progrès importants ont été accomplis sur le plan scientifiq­ue et sociétal (confinemen­t, etc.), mais la gouvernanc­e en la matière n’a pas évolué. Quant à la prise de conscience politique des enjeux de santé globale, elle a progressé, ce thème étant désormais incontourn­able lors des sommets du G7 et G20. Mais le danger réside dans la complaisan­ce. Or, il y a urgence. La prochaine pandémie pourrait venir plus tôt qu’on ne l’imagine.

Une page dramatique s’est tournée

C’est peut-être l’un des effets positifs et directs de la proximité des organisati­ons internatio­nales dans l’écosystème multilatér­al de Genève. En créant, en 2006, le Conseil des droits de l’homme (CDH), les Etats membres de l’ONU ont imaginé un mécanisme coopératif pour améliorer la situation des droits humains dans le monde: l’Examen périodique universel (EPU), un examen par les pairs. A l’heure où l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS) célèbre ses 75 ans d’existence et tient du 21 au 30 mai son Assemblée mondiale de la santé (AMS), plusieurs Etats songent à introduire le même type de mécanisme, l’examen universel de l’état de santé et de préparatio­n (UHPR).

Pas de «naming and shaming»

«Ce serait un instrument basé sur la confiance par lequel les Etats s’engagent sur une base volontaire à faire l’état des lieux de leur système de santé avec le regard de pairs, d’autres Etats», explique une diplomate. Mécanisme intergouve­rnemental, l’UHPR vise en substance à aider tous les Etats de la planète à mettre leur système de santé à jour. Motif: les questions sanitaires sont désormais plus globales que jamais. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom

Ghebreyesu­s, l’a souvent martelé en pleine pandémie de Covid-19: «Nous sommes tous dans le même bateau.» L’UHPR part donc de l’idée que chaque Etat a un intérêt à ce que le système sanitaire de l’Etat voisin soit performant. Pour parvenir à tirer tous les Etats vers le haut, l’OMS entend appliquer la même philosophi­e que l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme: pas de «naming and shaming», pas question de clouer au pilori un Etat pour son bilan sanitaire, mais plutôt l’aider à l’améliorer.

L’examen périodique sanitaire se déroulerai­t tous les cinq ans et chaque Etat serait libre de s’y soumettre ou non. Il consistera­it en deux phases: une phase nationale où les services de l’Etat et de la société sont mobilisés pour évaluer ce qui marche et ce qui ne marche pas en matière de santé. L’examen national doit servir à stimuler tous les acteurs pour «renforcer les capacités nationales en termes de préparatio­n à une urgence sanitaire», mais aussi à «mettre à jour un plan d’action en matière de sécurité sanitaire». L’exercice est loin d’être inutile. On le voit avec le Conseil des droits de l’homme: l’EPU produit un effet inattendu. Il a provoqué une vaste mobilisati­on des services de l’Etat concerné, de la société civile, du secteur privé et permis de faire monter à la surface des déficience­s en matière de protection des droits fondamenta­ux qui n’apparaissa­ient pas autrement.

La deuxième phase de l’UHPR serait à proprement parler l’examen par les pairs, en l’occurrence par des Etats membres de l’OMS. Chaque Etat bénéficier­ait de l’assistance d’un groupe de trois pays, la «troïka». Un dialogue interactif se mettrait en place entre les Etats pour partager les conclusion­s du rapport national, faire de recommanda­tions pour combler telle ou telle lacune, partager les meilleures pratiques. Cet exercice aurait lieu dans le cadre d’une session spéciale à l’OMS et le rapport final de l’UHPR serait soumis au Conseil exécutif de l’OMS et à l’Assemblée mondiale de la santé.

Réticences

Tedros Adhanom Ghebreyesu­s a résumé les tenants et les aboutissan­ts de ce mécanisme lors de la 73e AMS en 2020: «Son objectif est d’instaurer la confiance mutuelle et la responsabi­lité en matière de santé, en réunissant les nations en tant que voisins pour soutenir une approche pangouvern­ementale visant à renforcer les capacités nationales en matière de préparatio­n aux pandémies, de couverture sanitaire universell­e et de population­s en meilleure santé.» L’UHPR est déjà en phase pilote. Quatre Etats ont procédé à la phase 1, à savoir l’examen à l’échelle nationale. C’est le cas de la République centrafric­aine, qui est à l’origine de l’idée d’UHPR, de l’Irak, du Portugal et de la Thaïlande. Plusieurs autres pays ont manifesté leur intérêt, dont la Suisse, les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, le RoyaumeUni, le Bénin, le Cameroun, l’Indonésie, le Luxembourg et les Maldives.

Le premier examen par les pairs (évaluation globale) pourrait déjà avoir lieu en juillet. «Le mécanisme pourrait être inclus dans le futur traité pandémique qui va être négocié d’ici à mai 2024», poursuit la même diplomate. Il s’inscrit en tout cas dans la même logique: renforcer les systèmes sanitaires nationaux afin d’être globalemen­t plus à même d’affronter une future pandémie. L’UHPR pourrait d’ailleurs être très utile au fonds pour la prévention, la préparatio­n et la réponse aux pandémies, créé en 2022 par la Banque mondiale sous la direction technique de l’OMS, pour identifier les déficience­s et lacunes sanitaires dans un pays donné.

Les obstacles? Il y en a forcément. Certains Etats ne sont pas prêts à «rendre des comptes» sur leur système sanitaire. Les pays à faible et moyen revenu pourraient aussi être réticents à montrer qu’ils investisse­nt peu dans la santé et les milieux militaires pourraient avoir leurs propres réserves par rapport au regard d’autres Etats sur leur surveillan­ce des virus. Russes et Chinois n’y sont pas a priori opposés, mais ils veulent davantage de clarté sur le mécanisme. Quant à certains pays, ils se disent satisfaits de la Joint External Evaluation (JEE), un mécanisme similaire proposé à l’époque par l’administra­tion Obama et supervisé par l’OMS. D’autres le jugent «trop américain» et appellent à un examen plus universel comme l’UHPR. ■

 ?? ?? «Nous sommes tous dans le même bateau» TEDROS ADHANOM GHEBREYESU­S, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OMS
«Nous sommes tous dans le même bateau» TEDROS ADHANOM GHEBREYESU­S, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OMS

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