La santé globale en quête d’une gouvernance solide
A l’heure où se tient la 76e Assemblée mondiale de la santé en présence de nombreux ministres, l’idée d’un examen universel de l’état de santé et de préparation de chaque Etat fait son chemin. Celui-ci pourrait aider à mieux affronter une future pandémie
En annonçant la fin de la pandémie le 5 mai dernier, l’OMS a tourné une page dramatique de l’histoire sanitaire mondiale. Selon les dernières statistiques de l’agence onusienne, le Covid-19 a fait près de 7 millions de morts et peut-être même le double. La pandémie a fortement impacté les économies et a aussi eu un autre coût moins visible: nombre de progrès accomplis dans la lutte contre certaines maladies comme la malaria ou la tuberculose ont été anéantis.
C’est sur cette toile de fond que se réunit jusqu’à la fin mai, à Genève, la 76e Assemblée mondiale de la santé (AMS). A l’heure où l’OMS célèbre ses 75 ans d’existence, le bilan à tirer en matière de gouvernance globale de la santé est contrasté. D’un côté, l’OMS s’est rendue plus incontournable que jamais, mais avec un paradoxe. Elle n’a pas les moyens de ses ambitions avec un budget qui équivaut à celui des Hôpitaux universitaires de Genève. L’AMS va toutefois faire un important bond en avant en acceptant d’augmenter de 20% les contributions obligatoires des 194 Etats membres de l’OMS. Cette dernière sera moins tributaire de contributions volontaires qui représentent aujourd’hui 80% de son financement et qui privent l’OMS de toute prévisibilité budgétaire.
Deux processus de réforme en cours ont le potentiel d’améliorer de façon substantielle la capacité de la planète à se préparer et à riposter à une future pandémie. Le premier vise à doter l’organisation d’un traité pandémique censé améliorer le partage de données au début d’une épidémie. Il vise aussi à faciliter l’accès aux vaccins et à en régionaliser la production. Pékin est réticente au partage universel. L’Europe et les Etats-Unis rechignent à assouplir les règles de propriété intellectuelle, élargissant le fossé avec le Sud encore irrité par l’incapacité du Nord de garantir une distribution équitable des vaccins. Pour l’heure, le document d’un possible traité reste un fourre-tout sans objectif clair. A un an de l’échéance pour aboutir à un texte solide, les Etats membres de l’OMS sont encore très loin d’un traité digne de ce nom.
Le second processus consiste à moderniser un Règlement sanitaire international, la «Bible de l’OMS», devenu en partie obsolète. Rien ne dit toutefois que ces réformes déboucheront sur un renforcement substantiel de l’OMS. Des progrès importants ont été accomplis sur le plan scientifique et sociétal (confinement, etc.), mais la gouvernance en la matière n’a pas évolué. Quant à la prise de conscience politique des enjeux de santé globale, elle a progressé, ce thème étant désormais incontournable lors des sommets du G7 et G20. Mais le danger réside dans la complaisance. Or, il y a urgence. La prochaine pandémie pourrait venir plus tôt qu’on ne l’imagine.
Une page dramatique s’est tournée
C’est peut-être l’un des effets positifs et directs de la proximité des organisations internationales dans l’écosystème multilatéral de Genève. En créant, en 2006, le Conseil des droits de l’homme (CDH), les Etats membres de l’ONU ont imaginé un mécanisme coopératif pour améliorer la situation des droits humains dans le monde: l’Examen périodique universel (EPU), un examen par les pairs. A l’heure où l’Organisation mondiale de la santé (OMS) célèbre ses 75 ans d’existence et tient du 21 au 30 mai son Assemblée mondiale de la santé (AMS), plusieurs Etats songent à introduire le même type de mécanisme, l’examen universel de l’état de santé et de préparation (UHPR).
Pas de «naming and shaming»
«Ce serait un instrument basé sur la confiance par lequel les Etats s’engagent sur une base volontaire à faire l’état des lieux de leur système de santé avec le regard de pairs, d’autres Etats», explique une diplomate. Mécanisme intergouvernemental, l’UHPR vise en substance à aider tous les Etats de la planète à mettre leur système de santé à jour. Motif: les questions sanitaires sont désormais plus globales que jamais. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom
Ghebreyesus, l’a souvent martelé en pleine pandémie de Covid-19: «Nous sommes tous dans le même bateau.» L’UHPR part donc de l’idée que chaque Etat a un intérêt à ce que le système sanitaire de l’Etat voisin soit performant. Pour parvenir à tirer tous les Etats vers le haut, l’OMS entend appliquer la même philosophie que l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme: pas de «naming and shaming», pas question de clouer au pilori un Etat pour son bilan sanitaire, mais plutôt l’aider à l’améliorer.
L’examen périodique sanitaire se déroulerait tous les cinq ans et chaque Etat serait libre de s’y soumettre ou non. Il consisterait en deux phases: une phase nationale où les services de l’Etat et de la société sont mobilisés pour évaluer ce qui marche et ce qui ne marche pas en matière de santé. L’examen national doit servir à stimuler tous les acteurs pour «renforcer les capacités nationales en termes de préparation à une urgence sanitaire», mais aussi à «mettre à jour un plan d’action en matière de sécurité sanitaire». L’exercice est loin d’être inutile. On le voit avec le Conseil des droits de l’homme: l’EPU produit un effet inattendu. Il a provoqué une vaste mobilisation des services de l’Etat concerné, de la société civile, du secteur privé et permis de faire monter à la surface des déficiences en matière de protection des droits fondamentaux qui n’apparaissaient pas autrement.
La deuxième phase de l’UHPR serait à proprement parler l’examen par les pairs, en l’occurrence par des Etats membres de l’OMS. Chaque Etat bénéficierait de l’assistance d’un groupe de trois pays, la «troïka». Un dialogue interactif se mettrait en place entre les Etats pour partager les conclusions du rapport national, faire de recommandations pour combler telle ou telle lacune, partager les meilleures pratiques. Cet exercice aurait lieu dans le cadre d’une session spéciale à l’OMS et le rapport final de l’UHPR serait soumis au Conseil exécutif de l’OMS et à l’Assemblée mondiale de la santé.
Réticences
Tedros Adhanom Ghebreyesus a résumé les tenants et les aboutissants de ce mécanisme lors de la 73e AMS en 2020: «Son objectif est d’instaurer la confiance mutuelle et la responsabilité en matière de santé, en réunissant les nations en tant que voisins pour soutenir une approche pangouvernementale visant à renforcer les capacités nationales en matière de préparation aux pandémies, de couverture sanitaire universelle et de populations en meilleure santé.» L’UHPR est déjà en phase pilote. Quatre Etats ont procédé à la phase 1, à savoir l’examen à l’échelle nationale. C’est le cas de la République centrafricaine, qui est à l’origine de l’idée d’UHPR, de l’Irak, du Portugal et de la Thaïlande. Plusieurs autres pays ont manifesté leur intérêt, dont la Suisse, les Etats-Unis, l’Allemagne, la France, le RoyaumeUni, le Bénin, le Cameroun, l’Indonésie, le Luxembourg et les Maldives.
Le premier examen par les pairs (évaluation globale) pourrait déjà avoir lieu en juillet. «Le mécanisme pourrait être inclus dans le futur traité pandémique qui va être négocié d’ici à mai 2024», poursuit la même diplomate. Il s’inscrit en tout cas dans la même logique: renforcer les systèmes sanitaires nationaux afin d’être globalement plus à même d’affronter une future pandémie. L’UHPR pourrait d’ailleurs être très utile au fonds pour la prévention, la préparation et la réponse aux pandémies, créé en 2022 par la Banque mondiale sous la direction technique de l’OMS, pour identifier les déficiences et lacunes sanitaires dans un pays donné.
Les obstacles? Il y en a forcément. Certains Etats ne sont pas prêts à «rendre des comptes» sur leur système sanitaire. Les pays à faible et moyen revenu pourraient aussi être réticents à montrer qu’ils investissent peu dans la santé et les milieux militaires pourraient avoir leurs propres réserves par rapport au regard d’autres Etats sur leur surveillance des virus. Russes et Chinois n’y sont pas a priori opposés, mais ils veulent davantage de clarté sur le mécanisme. Quant à certains pays, ils se disent satisfaits de la Joint External Evaluation (JEE), un mécanisme similaire proposé à l’époque par l’administration Obama et supervisé par l’OMS. D’autres le jugent «trop américain» et appellent à un examen plus universel comme l’UHPR. ■