Les limites des grandes alliances de droite
A Genève, la droite populiste (UDC et MCG) a déploré l'échec de la grande alliance concoctée après le premier tour de l'élection du Conseil d'Etat et s'est offusquée d'avoir été réduite au rôle de «porteur d'eau». De fait, il est difficile de contester que les bénéfices de la grande alliance de droite – du Centre à l'UDC, en passant par le PLR et le MCG – ont été très inégalement répartis: cette alliance a fortement contribué à l'élection des deux candidates du PLR et de la candidate du Centre, mais elle a laissé sur le carreau les deux candidats MCG et UDC. En clair, les électeurs et électrices du MCG et de l'UDC ont bien plus joué le jeu de l'alliance que ceux et celles du Centre et du PLR.
Il serait tentant de conclure que l'insuccès de la droite genevoise est dû au manque de crédibilité d'une alliance bricolée à la va-vite, dans l'entre-deux tours. Et il serait aussi tentant d'invoquer le succès de cette recette électorale dans d'autres cantons (dont Berne, Fribourg et Vaud l'an dernier) pour vanter ses mérites. Ce serait d'abord oublier que sur Vaud, le succès de l'alliance n'a été que partiel – elle a certes permis à la droite de reconquérir la majorité au gouvernement, mais elle a laissé le candidat UDC sur la touche – et ce serait ensuite faire fi de la difficulté plus systématique de l'UDC à obtenir dans les gouvernements cantonaux une représentation conforme à sa force parlementaire.
Dans les cantons, une logique dite de «proportionnalité volontaire» (freiwillige Proporz) a longtemps prévalu. Même si les gouvernements cantonaux étaient élus directement par le peuple et, presque partout, au système majoritaire, le principe de concordance s'y est aussi imposé: dans un souci de gouvernabilité, c'est-à-dire par peur des blocages référendaires, les grands partis (de droite) évitaient de revendiquer tous les sièges au gouvernement et préféraient laisser un peu de place aux autres partis (de gauche), afin de les rendre coresponsables de l'action gouvernementale. En parallèle à la montée en puissance de l'UDC et à la polarisation de la politique suisse, les élections des gouvernements cantonaux sont devenues plus disputées. Conséquence de sa «droitisation», l'UDC s'est distanciée de ses alliés habituels – principalement le PLR, subsidiairement le PDC –, ce qui a ici ou là, amené ces partis à dénoncer leur alliance avec l'UDC. Ailleurs, les alliances électorales ont été maintenues, mais elles n'ont pas toujours produit les effets attendus, les candidats UDC étant perçus comme trop extrêmes par les électeurs de la droite modérée.
Résultat des courses: sur l'ensemble de la Suisse, l'UDC reste sous-représentée dans les exécutifs cantonaux en comparaison de sa force parlementaire. Premier parti dans les parlements cantonaux depuis plus de vingt
L’UDC reste sous-représentée dans les exécutifs cantonaux en comparaison de sa force parlementaire
ans, l'UDC ne pointe qu'en quatrième position dans les gouvernements cantonaux. L'écart entre sa part de sièges dans les parlements et dans les gouvernements cantonaux a atteint des sommets entre 2005 et 2015 (7 à 9 points de pourcentage selon les années) et demeure, aujourd'hui encore, élevé (4 points de pourcentages en 2023).
Les divisions de la droite ont non seulement affaibli l'UDC, mais elles ont aussi fait le jeu de la gauche: longtemps sous-représenté dans les gouvernements cantonaux, le PS y est, depuis la fin des années 2000, surreprésenté (6 à 7 points de pourcentage de sièges de plus dans les gouvernements que dans les parlements cantonaux entre 2010 et 2020, 3 points en 2023). Les autres gagnants du découpage fédéraliste et de la logique majoritaire à l'oeuvre dans les élections des exécutifs cantonaux sont le PLR et le PDC/Le Centre qui, aujourd'hui comme hier, y obtiennent une part sensiblement plus élevée de sièges que leur force parlementaire (de 5 à 8 points de pourcentage, selon les années).
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on observe des différences similaires, en plus prononcé encore, entre la composition du Conseil national, élu dans la plupart des cantons au système proportionnel, et celle du Conseil des Etats, élu dans tous les cantons sauf deux au système majoritaire: depuis le début des années 2000, la part de sièges détenue par l'UDC dans la Chambre des cantons reste inférieure de moitié à sa part de sièges dans la Chambre du peuple; à l'inverse, le PLR et le PDC/Le Centre sont deux fois plus représentés au Conseil des Etats qu'au Conseil national.
On sait depuis longtemps que la «droitisation» de l'UDC et son profil très marqué sont une arme à double tranchant. Puissant facteur de mobilisation, ce profil fait sa force dans les élections au système proportionnel, mais se retourne contre elle dans les élections au système majoritaire, en limitant les possibilités d'alliance et/ou la capacité de ses candidats à «ratisser large». L'UDC fait donc face à un dilemme: pour tirer parti des alliances de droite et cesser d'être le faire-valoir de ses partenaires dans les élections à la majoritaire, elle devrait adoucir son profil, mais au risque alors d'affaiblir sa capacité de mobilisation dans les élections à la proportionnelle.
Le PLR et le PDC/Le Centre se trouvent dans une situation exactement inverse de celle de l'UDC: leur profil modéré est un atout dans les élections au système majoritaire, car il facilite la conclusion d'alliances et rend leurs candidats éligibles aux yeux d'un large spectre de l'électorat, mais constitue un handicap dans les élections au système proportionnel, car il amoindrit leur capacité de mobilisation.
Pour augmenter ses chances et renforcer le poids des partis centristes au Conseil national, Le Centre a signé début mai une stratégie générale d'apparentement avec le parti vert'libéral et le Parti évangélique. Pour le Conseil des Etats, les stratégies d'alliance des partis seront définies au niveau cantonal. Mais à cinq mois des élections fédérales, l'horizon des grandes alliances de droite paraît relativement bouché.
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