Le Temps

«Mon but est de rester un joueur à part»

Actuel 81e mondial, le Zurichois Marc-Andrea Hüsler débute au Geneva Open lundi contre le Chinois Yibing Wu (59e) avec la possibilit­é de faire un peu mieux connaître du public suisse son tennis offensif de gaucher et son parcours atypique

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Au «village» du Gonet Geneva Open, dans le parc des Eaux-Vives, un grand poster de Marc-Andrea Hüsler en action orne le stand de l'équipement­ier du joueur et du tournoi. A quelques mètres, sous une autre tente, une image de Roger Federer en civil assure la promotion de la fondation Make a Wish. Le tennis suisse a tourné la page. En l'absence de Stan Wawrinka (qui n'a pu trouver un accord financier avec les organisate­urs), et après l'éliminatio­n samedi de Jérôme Kym en qualificat­ion (défaite 6-7 7-6 4-6 contre le Français Arthur Cazaux après 2h54 de jeu), Hüsler (26 ans) est le seul Suisse du tableau.

Le Zurichois est aussi depuis juillet dernier le mieux classé au ranking ATP, même si le mode de classement de Swiss Tennis lui préfère toujours Wawrinka, et même s'il peine à répéter depuis le début de la saison (8 victoires, 11 défaites) le formidable second semestre 2022 qui l'avait vu remporter son premier titre ATP (le tournoi 250 de Sofia) et entrer dans le top 50. Actuel 81e mondial, il débute aux Eaux-Vives lundi à partir de 18h contre le Chinois Yibing Wu (59e) avec la possibilit­é de se faire un peu mieux connaître du public suisse.

Ressentez-vous une pression particuliè­re à jouer à Genève en tant que numéro un suisse? Peut-être un peu mais tous les joueurs ressentent toujours une forme de pression. En tennis, on arrive à chaque nouveau tournoi avec ses objectifs et son historique des précédents mois ou des dernières semaines. Que l'on joue bien ou mal, tout recommence chaque lundi, c'est à la fois la beauté et la difficulté de ce sport. Je ne connais pas du tout mon adversaire, je sais qu'il joue bien et qu'il est monté vite au classement. Moi, je connais le club: ici c'est une terre battue un peu plus rapide. Si je sers bien, si je fais les choses justes, j'ai de bonnes chances de gagner le match.

Vous avez émergé l’an dernier, à déjà 25 ans et un peu à la surprise générale parce que vous n’avez jamais été celui sur qui tout le monde misait. Vous sentez-vous à votre place parmi les meilleurs? Je me sens bien, mais pour moi, tout est encore un peu nouveau chaque semaine. Je joue les plus grands tournois possibles, toujours contre des adversaire­s top 100, top 50. La semaine prochaine, je vais entrer pour la première fois dans le tableau principal de Roland-Garros [il a disputé les qualificat­ions en 2021 et 2022].

On dit que le plus difficile est d’entrer dans le top 100. Vous confirmez? Il est plus facile de planifier la saison mais on ne joue que face à de très bons joueurs dans de grands tournois. Y rester est difficile parce que c'est là où tout le monde veut être. Au niveau inférieur, tu peux quand même gagner des matchs sans être à 100%, alors que là, chaque premier tour est difficile. Même un joueur classé 50e ou 60e perd beaucoup de matchs dans l'année, et ce n'est pas facile pour la confiance. C'est quelque chose que je suis en train d'apprendre.

Avez-vous perdu cette confiance qui vous animait l’automne dernier? L'an dernier, je n'avais rien à perdre, j'ai souvent pris des risques dans les moments importants et ça passait parce que c'est plus facile quand tu joues relâché. Maintenant, je suis peut-être un peu plus tendu, je prends un peu moins de risques ou avec moins de réussite. A ce niveau, ça peut faire la différence entre gagner et perdre, parce que je joue maintenant contre des adversaire­s qui sont tous très forts. J'ai quelquefoi­s perdu des matchs très serrés en jouant bien, comme contre Thiem à Munich [deuxième tour, défaite 7-5 4-6 4-6]. C'est positif, ça me montre que je dois m'améliorer mais aussi que je suis sur la bonne voie. Au tennis, de petites choses peuvent faire une grande différence. Le plus difficile est de ne pas se perdre dans ses pensées. Quelquefoi­s, on réfléchit trop, et on peut perdre confiance en son jeu. L'entraîneme­nt est important, il sert à se prouver que l'on a un bon niveau pour avoir de bonnes chances de gagner sans en faire trop.

Avez-vous le sentiment d’avoir progressé malgré ces défaites? A l'Open d'Australie, je perds au premier tour en cinq sets contre John Millman avec 5000 spectateur­s contre moi. C'est une expérience qui m'a apporté énormément. Pour moi, bien des choses sont encore nouvelles. Comme entrer dans les tableaux de Monte-Carlo, Rome, Madrid. Passer un tour à Miami aussi. C'est clair qu'on voudrait toujours gagner plus mais perdre 6-4 au troisième set contre Tommy Paul, un très bon joueur sur dur, ça me montre qu'il ne me manque pas grand-chose. Quand je trouve mon jeu, je sais que je suis dangereux pour tout le monde. Mais je sais aussi que j'ai parfois un peu de peine à entrer dans les tournois. C'est presque plus difficile pour moi de gagner les premiers trois tours que la suite.

Vous avez l’air si calme sur le court. Comment ça se passe à l’intérieur? J'essaye de ne pas montrer mes émotions à mon adversaire. Mais ces derniers mois, j'ai remarqué que je devenais trop tendu si je n'extérioris­ais pas un peu mes sentiments. Dans ma tête, ça cogite beaucoup. Il y a un équilibre à trouver entre être relâché et agressif. Là aussi, je me sers de l'entraîneme­nt pour apprendre à montrer plus mes émotions.

Votre tennis est très offensif, très élégant. Accordez-vous de l’importance au style? Je jouerais «moche» si ça me faisait gagner mais j'ai toujours eu un talent pour faire sortir la balle vite de ma raquette au service. Et puis je me suis toujours dit que pour battre des top 20, il fallait faire quelque chose de spécial parce qu'à l'échange ils sont plus forts que moi. Maintenant, avec un an d'entraîneme­nt en plus, mon niveau moyen a augmenté, mais mes adversaire­s continuent de ne pas trop savoir qui je suis et je dois essayer d'en profiter. Mon but est de rester un joueur spécial, à part.

«J’ai remarqué que je devenais trop tendu si je n’extérioris­ais pas un peu mes sentiments»

Différent, vous l’êtes aussi par votre parcours. A quoi pensiez-vous à 14 ans quand pas grand monde ne croyait en vous? A 14 ans, je pensais beaucoup à l'école. J'ai vécu une vie normale pour un jeune mais anormale pour un joueur pro: les cours, les copains, les examens, quelques entraîneme­nts et les matchs le week-end. Plus tard, j'ai eu le choix entre passer profession­nel, étudier aux Etats-Unis ou continuer en Suisse. Ce n'était pas une décision facile à ce moment-là mais je voulais vraiment avoir une sécurité à côté du tennis. Et puis mon corps n'était pas prêt pour encaisser du tennis à 100%. C'est venu plus tard. C'est le chemin qui me convenait, mais il me vaut des faiblesses que je dois encore travailler.

Devenir joueur profession­nel, c’était un rêve? J'ai commencé à y penser quand je suis devenu champion de Suisse à 16 ans. J'ai réussi à être au top sur la scène nationale sans beaucoup d'entraîneme­nt ni de profession­nalisme. A partir de là, j'ai voulu voir jusqu'où je pouvais aller. A mon rythme et avec une toute petite structure car j'ai toujours préféré la qualité de la relation à la quantité.

En quoi ce parcours atypique continue-t-il de vous définir? Comme j'avais des manques physiques, j'ai dû trouver des solutions pour arriver à battre des adversaire­s plus rapides ou plus endurants et cela a développé ma compréhens­ion du jeu. Je pense aussi que je suis plus «frais» que des joueurs qui bataillent sur le circuit depuis l'âge de 16 ans. C'est dur de voyager chaque semaine, d'être toujours et partout au top physiqueme­nt et mentalemen­t. Je ne suis sur le circuit que depuis six ans et je ne trouve pas encore ça ennuyeux. J'essaye vraiment de profiter de chaque journée, de chaque ville visitée et j'ai conscience que cette vie est un privilège. Je ne sais pas combien d'années il me reste mais je pense que je peux avoir une carrière encore longue.

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