Le Temps

La vérité, toute la vérité… ou pas

Justine Triet signe «Anatomie d’une chute», un impression­nant film de procès porté par un casting au centre duquel brille Sandra Hüller dans le rôle d’une écrivaine accusée du meurtre de son mari

- S. G., CANNES

Une étudiante en lettres se rend dans un chalet de montagne pour interviewe­r Sandra, une écrivaine allemande installée en France avec son mari, Samuel. Celui-ci, comme dérangé par cet entretien, le rend inaudible en écoutant en boucle, à très fort volume, un morceau agaçant. L’étudiante part, Sandra va se reposer, et quand son fils Daniel rentre de promenade avec son chien, il découvre le cadavre de son père devant la maison, victime d’une chute mortelle… Sandra est le seul témoin, et par conséquent l’unique suspecte, pour autant qu’il ne s’agisse pas d’un accident ou d’un suicide.

Sous-genre passionant du polar

Que s’est-il passé, et surtout comment établir la vérité lorsqu’il ne s’agira que de la parole de l’accusée contre celle du procureur général? Pour son quatrième long métrage après les remarqués La Bataille de Solférino, Victoria et Sibyl, Justine Triet s’attaque à un sous-genre passionnan­t du polar: le film de procès. Après une première heure consacrée au début de l’enquête, et notamment à la reconstitu­tion, Anatomie d’une chute nous plongera pendant les 90 minutes suivantes dans la salle d’audience où se tient le procès de Sandra. Et là, en même temps que le jury, on va au fil des interrogat­oires et des témoignage­s découvrir l’histoire de cette famille endeuillée, de l’accident qui a rendu Daniel malvoyant à la culpabilit­é de Samuel, en passant par les disputes du couple, les infidélité­s de Sandra et sa réussite profession­nelle tandis que Samuel n’a achevé aucun des romans qu’il a commencés.

Une rigueur glaçante

Il y a dans Anatomie d’une chute des moments très forts, comme lorsque l’enregistre­ment audio d’une altercatio­n survenue la veille du drame va prendre corps à l’écran, mais en partie seulement afin que les spectateur­s et spectatric­es n’aient pas plus d’indices que le jury. Et il y a surtout, un casting d’une solidité à toute épreuve, avec au centre une extraordin­aire Sandra Hüller (découverte à Cannes avec Amour fou en 2014 puis Toni Erdmann deux ans plus tard), qui est d’ores et déjà une sérieuse prétendant­e au Prix d’interpréta­tion féminine, apportant une fascinante complexité à son personnage. A ses côtés, Swann Arlaud campe un avocat de la défense tout en finesse et en force tranquille, tandis qu’Antoine Reinartz est d’une rigueur glaçante en procureur général.

La chute du titre est celle, littérale, de Samuel; mais aussi, plus symbolique­ment, celle du couple. Et c’est aussi la notion de création et de fiction que questionne Justine Triet, à travers ce mécanisme qui nous amène à croire, ou non, à ce qu’on nous raconte, que cela soit dans un procès, un film ou un roman…

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