Le Temps

Le temps d’aimer, le temps de jouer

Avec «May December», Todd Haynes signe un grand film partant d’une histoire d’amour interdit pour explorer le métier d’actrice

- STÉPHANE GOBBO @stephgobbo

Todd Haynes, à l’instar de Pedro Almodovar en Espagne ou François Ozon en France, a régulièrem­ent écrit de grands rôles féminins. On pourrait citer Julianne Moore dans Loin du paradis et Wonderstru­ck, Cate Blanchett dans I’m Not There et Carol,

Noomi Rapace dans le même Carol.

Attiré par le mélodrame de l’âge d’or d’Hollywood mais aussi par le rock, il est aussi à l’aise lorsqu’il se frotte à Douglas Sirk que quand il revisite de manière personnell­e l’histoire de la musique – Bowie et le glam rock dans Velvet Goldmine, Dylan et ses doubles dans I’m Not There. Avec May December, c’est plus directemen­t au cinéma qu’il s’intéresse, et à la manière dont une actrice peut se muer en personnage – ce qu’il symbolise littéralem­ent à l’écran en filant la métaphore des chenilles devenant papillons.

«Je comprends mieux les femmes»

Il y a six ans, venu recevoir un Léopard d’honneur au Locarno Film Festival, le réalisateu­r américain nous expliquait ainsi sa passion pour les personnage­s féminins: «On peut tellement apprendre des femmes, car historique­ment elles ont toujours porté un fardeau, leur liberté a régulièrem­ent été contrariée. Elles possèdent un plus grand potentiel dramatique et, en tant qu’homme gay, je suis attiré par cela. J’ai l’impression que je les comprends mieux, et je veux l’exprimer.» Et voici qu’il offre, dans le sillage de Carol, deux très beaux rôles à Julianne Moore, encore, et Natalie Portman. Celle-ci incarne Elizabeth, une actrice que l’on découvre à son arrivée à Savannah, en Géorgie.

Elle est venue y rencontrer Gracie, qu’elle doit incarner dans un biopic racontant la rencontre de cette mère de famille divorcée avec son deuxième mari, Joe, qui à l’époque avait…

En jouant une nouvelle fois avec les codes du mélodrame, Todd Haynes signe un film fascinant sur le pouvoir cathartiqu­e de la fiction

13 ans! Le couple semble s’aimer passionném­ent, ils ont trois enfants, mais cette relation contraire à la loi avait valu à Gracie une condamnati­on à 7 ans de prison pour viol. Elisabeth veut la comprendre, afin de l’incarner au plus proche de la réalité. On va alors, tout en suivant ses conversati­ons avec Gracie, sa nouvelle famille et l’ancienne qu’elle a abandonnée, rentrer dans le processus artistique consistant à s’approprier une personne réelle pour en faire un double fictionnel pouvant peut-être révéler ses contradict­ions et zones d’ombre.

May December, expression qui qualifie les relations amoureuses avec un important écart d’âge, est ainsi moins une oeuvre sur une relation pédophile, puisque c’est dans le fond ainsi qu’elle doit être qualifiée malgré l’amour de Joe pour Gracie, que sur la création – à l’instar de deux autres films en compétitio­n, Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania et Vers un avenir radieux de Nanni Moretti. En jouant une nouvelle fois avec les codes du mélodrame, Todd Haynes signe un film fascinant sur le pouvoir cathartiqu­e de la fiction. Devant se confronter à son histoire, Joe va enfin pouvoir se libérer d’émotions qu’il avait enfouies.

 ?? (FRANCOIS DUHAMEL/MAY DECEMBER PRODUCTION­S) ?? Elizabeth (Natalie Portman, à gauche) s’immerge dans le quotidien de Gracie (Julianne Moore), qu’elle doit incarner dans un biopic.
(FRANCOIS DUHAMEL/MAY DECEMBER PRODUCTION­S) Elizabeth (Natalie Portman, à gauche) s’immerge dans le quotidien de Gracie (Julianne Moore), qu’elle doit incarner dans un biopic.

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