A Anières, un projet de logements pour seniors provoque la fronde des habitants
Très disputé dans le centreville, l’aménagement du territoire divise aussi les communes rurales. Citoyens et autorités se livrent à un bras de fer juridique autour de la démolition d’une ferme emblématique pour y bâtir un IEPA
A Genève, les vifs débats autour de l'aménagement du territoire ne se limitent pas au centre-ville. Dans la prospère et champêtre commune d'Anières, sur la rive gauche du Léman, les âmes villageoises s'écharpent autour du futur de la ferme du hameau de Chevrens, censée être démolie pour accueillir à terme un immeuble avec encadrement pour personnes âgées (IEPA) dévolu aux Aniérois. «Déni démocratique», «fait accompli», «projet mal ficelé» ou encore «village dénaturé», les griefs s'alignent pour fustiger ce projet soutenu par la mairie et initié par la Fondation d'Anières pour le logement, une fondation de droit public dont la gouvernance est entre autres composée d'une minorité d'élus municipaux. Le sort de cette ferme se jouera devant le Tribunal administratif de première instance, saisi par une vingtaine d'habitants, dont deux conseillères municipales, dans un conflit qui les oppose à la fondation.
Et les autorités d'Anières ont dû défendre le projet face à la défiance d'une quarantaine d'habitants ce mardi 30 mai, dans une petite salle de la ferme de Chevrens. Au menu de la soirée, une séance d'information convoquée par la fondation pour présenter le futur immeuble IEPA, son premier projet lancé en 2020 via un concours d'architectes et qui devrait remplacer l'actuelle ferme, sise à l'entrée du hameau d'un peu moins d'une centaine d'âmes.
Symptôme emblématique de la difficulté pour les communes rurales de mener à bien des projets immobiliers dans une épaisse forêt législative, le bras de fer opposant les habitants à leurs autorités souligne aussi le besoin de plus en plus aigu pour les riverains d'être associés au développement urbanistique de leur village. Dans la petite salle de Chevrens, après avoir écouté les explications de la fondation sur les bienfaits du projet destiné à une dizaine de seniors encore autonomes, la majorité des riverains présents – pour la plupart d'un certain âge – ont tancé un projet «mal ficelé» et qui se serait développé «à leur insu».
Genèse d’une impasse démocratique
C'est qu'aux yeux des habitants, la ferme de Chevrens construite en 1838 incarne le caractère villageois de leur hameau. Au front pour contester sa démolition, le vigneron et notable Claude-Alain Chollet s'était déjà mis en quête de signatures dès la possibilité exprimée par la fondation de raser l'édifice au bénéfice d'un IEPA, en 2019. Il en avait alors rassemblé 360 dans une pétition adressée aux autorités. «On peine à comprendre comment ce projet a germé dans la tête de nos élus et de cette fondation, censée être surveillée par le politique», pointe-t-il, rejoint dans sa fronde par Ghislaine Jacquier, membre du comité de l'association «Anières un vrai village».
«Si c’était à refaire, je pense que le choix de passer par un concours d’architectes ou non aurait dû être débattu et voté au sein du Conseil municipal» CLAUDINE HENTSCH, ADJOINTE AU MAIRE, MEMBRE DE LA FONDATION D’ANIÈRES POUR LE LOGEMENT
Plusieurs résidents questionnent aussi le bien-fondé de loger des personnes âgées autonomes dans un hameau dépourvu de commerces et de passages piétons. D'autres, à l'instar de la municipale et recourante Claire Bulliard, évoquent le processus «peu clair» qui a entouré les travaux de la fondation et du délibératif communal, amenant aujourd'hui à un projet qui, des dires de Ghislaine Jacquier, se concrétise «en dehors des clous démocratiques». «Finalement, on nous présente les choses sans nous demander notre avis», regrette de son côté Claude-Alain Chollet, également recourant.
Car à l'origine, une délibération proposée par la Fondation d'Anières pour le logement au Conseil municipal mettait en avant une démolition «éventuelle» de l'actuelle ferme. Le délibératif a donc dû se baser sur une hypothèse lors de son vote, sans savoir s'il y aurait effectivement une démolition. Après plusieurs débats, il est finalement décidé de donner le feu vert à la fondation pour la poursuite du projet en ces termes. En séance, l'ancienne conseillère municipale Jacqueline Curzon fait alors part de cette interprétation: «La fondation souhaite avoir le dernier mot sur cette démolition et ne pas soumettre cette décision au Conseil municipal.»
Des conseillères communales écartées du vote
Et cette délibération aura une conséquence technique. En entérinant de cette façon la poursuite du projet, le Conseil municipal n'aura ensuite d'autre choix que de délivrer l'autorisation à la fondation de poursuivre ses travaux selon ses souhaits par voie de résolution; une décision sans référendum possible. De quoi «court-circuiter la démocratie» aux yeux des opposants qui pointent une forme de «confiscation» de leurs droits. Cette résolution atterrit finalement au menu des séances du Conseil municipal ce printemps 2023, et entraîne une nouvelle fois des réactions courroucées de certains conseillers municipaux. Elle sera finalement votée, cette fois en l'absence de deux élues auxquelles il sera demandé de se récuser, étant signataires du recours en justice déposé contre la fondation.
Impossible de faire marche arrière
Face à ce public hostile, la nouvelle adjointe au maire et membre de la Fondation d'Anières pour le logement Claudine Hentsch essuie les critiques de ses administrés et confesse son désarroi. «Si c'était à refaire, je pense que le choix de passer par un concours d'architectes ou non aurait dû être débattu et voté au sein du Conseil municipal», expliquet-elle. Décidée par le conseil de fondation, l'organisation du concours a menotté les autorités. «Faire machine arrière après avoir lancé ce processus est coûteux, voire impossible», ajoute Claudine Hentsch. L'élue réfute cependant toute «maladresse» au sujet de la demande d'une «éventuelle» démolition de la ferme présentée par la fondation au Conseil municipal en 2019.
Si l'avenir de la ferme de Chevrens est désormais entre les mains du Tribunal de première instance, l'exemple de son développement pourrait conseiller nombre de communes faisant de plus en plus face aux problématiques de densification et aux doléances de leurs résidents.
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