La Belgique critiquée pour ses prisons vétustes
L’Allemagne a refusé d’extrader un homme suspecté d’assassinat, en raison de l’état des prisons du Plat Pays, insalubres et surpeuplées. Des réformes sont toutefois en cours, mais elles risquent de prendre du temps
C’est un nouveau camouflet pour la Belgique. Un individu suspecté d’assassinat après une course poursuite qui s’est déroulée en juin du côté de la ville de Liège est au coeur de tensions entre Berlin et Bruxelles. L’Allemagne refuse de l’extrader vers son voisin. Ses arguments? Les prisons belges sont bien trop vétustes, les conditions sanitaires ne sont pas respectées. L’Allemagne exige des garanties pour lever son veto. Voilà qui relance le débat sur l’état des geôles du plat pays. Surpopulation carcérale, manque de personnel, bâtiments délabrés, services de santé inopérants, conditions d’hygiène déplorables: les critiques sont récurrentes. Actuellement, 11 561 personnes sont emprisonnées en Belgique, pour une capacité théorique de 10 418 places. Le taux d’occupation est de 111%. Des détenus doivent vivre entassés dans des cellules. Des conditions qui favorisent l’émergence de violences.
Avec environ 115 détenus pour 100 places, la Belgique arrive en 3e position des pays européens avec la plus grande surpopulation carcérale, selon les dernières statistiques pénales du Conseil de l’Europe publiées fin juin. Derrière la Roumanie (124) et Chypre (118), ex aequo avec la France. La moyenne européenne est de 91,6. La Belgique est par contre tout en haut du podium s’agissant de la proportion des personnes incarcérées pour des problèmes de drogue – 51% –, devant la Lettonie (43%) et l’Azerbaïdjan (37%). En juillet, l’administration pénitentiaire belge avertissait que le nombre de détenus dormant sur des matelas à même le sol était en hausse dans les prisons flamandes. Selon ses chiffres, 167 prisonniers n’ont pas de lit dans leur cellule.
«On est la risée de l’Europe»
Renaud Molders-Pierre, l’avocat du jeune Turc arrêté à Düsseldorf en juillet, ne mâche pas ses mots. «C’est plus que la honte. On est la risée de l’Europe, on est la risée de nos partenaires économiques parce qu’ils estiment que nous ne sommes pas capables de respecter les droits de l’homme dans les prisons belges», s’est-il récemment emporté sur RTL TVI.
De nombreuses instances, dont le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du Conseil de l’Europe, ont fait part de leurs critiques. Des directeurs de prison, pris à la gorge, ont également donné de la voix. C’est le cas notamment de Vincent Spronck, à la tête de l’établissement carcéral de Mons, qui, après avoir pris ses fonctions en automne 2020, n’a pas hésité à déclarer qu’il était non seulement le plus ancien du pays mais aussi l’un des pires. Infiltrations d’eau, punaises dans les cellules, chaudières qui ne fonctionnent pas: la liste des dysfonctionnements est longue.
La justice s’en mêle
Et la justice s’en mêle. En juin, l’Etat belge a, parmi d’autres mesures, été condamné par le Tribunal de première instance du Hainaut à faire baisser la surpopulation à la prison de Mons «à maximum 110% dans un délai de six mois sous peine d’astreinte de 2000 euros par jour et par détenu excédant la capacité maximale de la prison».
Dans son rapport de novembre 2022, la CPT dénonçait un taux de surpopulation allant jusqu’à 203% dans la prison d’Ypres. Mais elle relayait aussi une crainte: que l’entrée en vigueur, maintes fois repoussée depuis 2006, de l’exécution effective des courtes peines de prison ( jusqu’à 3 ans d’emprisonnement) à la place d’une surveillance électronique ou d’autres peines alternatives, ne fasse que compliquer la situation. Une nouvelle législation entrera en vigueur le 1er septembre. En avril, l’Association francophone des directeurs de prisons a écrit au premier ministre pour demander de repousser la date. En vain.
Ne risque-t-on pas de se retrouver un peu dans le schéma du serpent qui se mord la queue? Le ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne, insiste sur le fait que la relative impunité dont jouissaient jusqu’ici les auteurs de petits délits contribue au taux de récidive élevé, en partie responsable de la surpopulation. Autre argument: la non-application des petites peines poussait des magistrats à prononcer des peines plus sévères, au-delà de trois ans. Dès le 1er septembre, les détenus condamnés à des peines de 6 mois à 2 ans n’échapperont théoriquement plus à la case prison. C’est déjà le cas depuis un an pour ceux condamnés à des peines de 2 à 3 ans. D’autres changements sont en cours, comme renforcer la formation du personnel de prison ou adopter des codes de déontologie. La Belgique compte actuellement 36 établissements pénitentiaires, et de nouveaux sont prévus. Fin octobre 2022, l’immense prison de Haren à Bruxelles, qui peut abriter 1190 détenus, a été inaugurée, après quatre ans de construction. Il s’agit de la plus grande du pays. Les autorités belges préfèrent parler de «village pénitentiaire»: la prison regroupe différents édifices, pour hommes et pour femmes, dont des «unités de vie» pour maximum 30 personnes, le tout réparti sur 15 hectares. Fruit d’un partenariat public-privé, elle était censée à terme remplacer trois établissements vétustes de la capitale, ceux de SaintGilles, de Forest et de Berkendael. Or ces promesses ne sont déjà pas respectées.
«Plus on construit, plus on remplit»
«Nos partenaires économiques estiment que nous ne sommes pas capables de respecter les droits de l’homme»
RENAUD MOLDERS-PIERRE, AVOCAT DU JEUNE TURC ARRÊTÉ À DÜSSELDORF
«Il y a déjà des problèmes importants à Haren, alors que la prison a ouvert il y a moins d’un an», commente Olivia Nederlandt, professeure de droit à l’Université Saint-Louis de Bruxelles. Membre de l’Observatoire international des prisons, elle travaille aussi comme bénévole au sein de la commission de surveillance de la nouvelle structure pénitentiaire. «Il y a beaucoup de tensions et de frustrations chez les détenus, en raison d’une mauvaise communication entre les différents services, qui aboutit à des erreurs et à des lenteurs. Le personnel médical n’est pas assez nombreux. Des détenus qui souffrent reçoivent par exemple du paracétamol distribué par des agents et n’ont pas l’impression d’être pris au sérieux!»
Olivia Nederlandt insiste surtout sur un point: «La construction de nouvelles prisons n’est pas la solution aux problèmes. Car plus on construit, plus on remplit. Le ministre de la Justice affirme qu’il n’a pas d’autre choix, or si autant de gens restent enfermés, c’est souvent parce que le personnel pénitentiaire et psychosocial est insuffisant pour aider les condamnés à préparer leur réinsertion.» La population carcérale augmente alors même que la criminalité n’augmente pas, dénoncet-elle. «Une des solutions pourrait être de décriminaliser certains contentieux, dans le domaine des stupéfiants, par exemple.» L’Allemagne n’est pas le seul pays à avoir émis des réserves pour une extradition vers la Belgique en raison de l’état de ses prisons. Les Pays-Bas et l’Espagne ont déjà avancé les mêmes réticences. La Belgique n’a par ailleurs toujours pas d’organe indépendant pour surveiller les lieux de privation de liberté. Pourtant, un protocole onusien anti-torture signé en 2005 l’exige.
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