Le Temps

En Syrie, le vent de la révolution se lève de nouveau

Depuis deux semaines, des manifestan­ts réclament le départ de Bachar el-Assad dans la ville de Soueïda, au sud du pays. Portraits du président brûlés et sièges du parti Baas fermés: les habitants n’ont plus rien à perdre

- LUIS LEMA @luislema

Il y a des tout jeunes et des aînés; des femmes (beaucoup) et des hommes réunis sur la place Al-Karama, au centre de la ville de Soueïda. Pour la première fois depuis des années, ils brandissen­t des drapeaux de la révolution syrienne, mêlés aux bannières druzes, la communauté majoritair­e dans cette partie du sud de la Syrie. Et ils crient leur colère.

«Nous sommes les femmes libres de Soueïda»

Hir encore, ils étaient plusieurs centaines à défier frontaleme­nt le régime de Bachar el-Assad. Voilà deux semaines que ça dure. Douze ans de guerre, des centaines de milliers de morts et de disparus, des millions d’exilés, les bombardeme­nts et les attaques chimiques n’y ont rien pu: les slogans renouent avec ceux des débuts de la révolte, exigeant la liberté et le départ du despote syrien. «Nous sommes les femmes libres de Soueïda et nous saluons tous les gens libres de Syrie, disait une manifestan­te dont les propos circulent sur les réseaux sociaux. Nous sommes sur le chemin de la victoire et de la liberté, et nous ne quitterons pas cette place. Nous vivrons ensemble ou nous mourrons ensemble.»

Ailleurs dans le sud syrien, comme à Deraa, mais aussi à Alep ou dans les faubourgs de Damas, se sont déroulées des manifestat­ions de soutien aux contestata­ires. Le détonateur immédiat de ces protestati­ons? Le coût de l’essence, qui a presque triplé d’un coup, et qui s’ajoute aux pénuries, aux privations et à la misère qui frappe désormais une grande partie de la Syrie.

Lui-même originaire de cette ville (bien que né en France), le politologu­e et activiste Firas Kontar détaille la particular­ité de Soueïda. Dès 2011, rappelle-t-il, le régime alaouite de Bachar el-Assad a tenté de séduire les Druzes de la région en s’érigeant en protecteur des minorités face à la menace djihadiste. La répression, ici, a été moins

«Le régime de Bachar el-Assad fonctionne désormais davantage comme un émirat de la terreur» FIRAS KONTAR, POLITOLOGU­E ET ACTIVISTE

sauvage qu’ailleurs. «Mais 50 000 jeunes de la région ont refusé de s’enrôler dans l’armée syrienne, expliquet-il. Ce sont les milices locales qui les ont protégés.»

Résultat: encore aujourd’hui, l’armée syrienne n’a qu’une présence très réduite dans la ville, Damas se contentant d’y déployer des forces de police et les services de renseignem­ent. En face, des milliers de miliciens (entre 5000 et 15 000 selon les sources) restent prêts à en découdre. Selon les informatio­ns des médias locaux, les services de sécurité et les forces armées auraient reçu l’ordre de rester dans leurs casernes, à l’extérieur de la ville.

Comme s’ils devaient encore mieux expliciter leurs revendicat­ions, les manifestan­ts ont brûlé les portraits de Bachar el-Assad ou pris d’assaut les sièges du parti Baas. «Ce que disent les manifestan­ts, c’est qu’ils ont décidé de mettre en applicatio­n, à leur échelle, la résolution 2254 de l’ONU», sourit Firas Kontar, dont une partie d’un de ses récents livres est précisémen­t consacrée à la ville de Soueïda. Adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU fin 2015, cette résolution prévoit l’organisati­on d’élections «libres et équitables» dans un délai de dix-huit mois. Elle prévoit que la transition politique «sera dirigée par les Syriens».

Un bain de sang n’est pas à exclure

En plein exercice de réhabilita­tion internatio­nale, le régime syrien aurait sans doute peu à gagner à provoquer un bain de sang à Soueïda aux côtés de ses parrains russe et iranien. «Mais on ne peut pas exclure qu’il se mette à bombarder la ville, affirme l’activiste franco-syrien. Ce régime fonctionne désormais davantage comme un émirat de la terreur qu’il n’est guidé par une logique internatio­nale quelconque.»

Quant aux habitants de la ville, ils ont vu comme le reste des Syriens l’aide internatio­nale détournée, voire jetée dans les décharges lorsqu’elle était périmée et qu’elle n’arrivait pas à être revendue par les soutiens du régime. Des notables locaux évoquaient déjà, ces jours, l’établissem­ent de conseils administra­tifs et militaires «provisoire­s» après la fermeture de toutes les institutio­ns étatiques dans le gouvernora­t. ■

 ?? (IDLIB, 25 AOÛT 2023/ABDULAZIZ KETAZ/AFP) ?? Une manifestat­ion de soutien aux protestati­ons anti-gouverneme­ntales qui secouent la ville de Soueïda.
(IDLIB, 25 AOÛT 2023/ABDULAZIZ KETAZ/AFP) Une manifestat­ion de soutien aux protestati­ons anti-gouverneme­ntales qui secouent la ville de Soueïda.

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