Le Temps

Au Tessin, l’écosystème lacustre sous pression

- ANDRÉE-MARIE DUSSAULT, LOCARNO

Historique­ment bas il y a une semaine, le lac Majeur a regagné plus d’un mètre en trois jours. Le contexte climatique actuel, ajouté à la fluctuatio­n programmée, complexifi­e la régulation de son niveau

Depuis samedi, les violentes pluies ont fait remonter le niveau d’eau du lac Majeur de 140 cm, rien que ça. Après la grêle de vendredi, parfois grosse comme des balles de tennis – et qui a provoqué des coupures d’électricit­é, l’absence d’eau potable, le retardemen­t du début des classes dans certaines communes et quelque 40 interventi­ons des pompiers de Locarno en une nuit… – Météo-Suisse a compté jusqu’à 240 litres de précipitat­ions par m cette fin de semaine au centre et au nord du Tessin.

Alors qu’il y a une semaine, le niveau du lac était de 35 cm au-dessous du zéro hydrométri­que de Sesto Calende (IT), un record historique. En deux mois, le bassin a perdu quelque 2 mètres. En cause: le peu de précipitat­ions et de neige en montagne, et l’ouverture du barrage de correction de Sesto Calende – géré par la Suisse et la Lombardie – pour l’irrigation des cultures en aval souffrant de la chaleur et de la sécheresse.

Avec le réchauffem­ent climatique, le bas niveau du lac et sa régulation sont appelés à susciter des débats toujours plus vifs. Ces dernières semaines, la navigation a souffert; plusieurs traversier­s ne circulaien­t pas à pleine capacité. C’est également un problème pour la végétation riveraine et les écosystème­s de deltas qui ont besoin d’humidité, comme la réserve naturelle des Bolle di Magadino, «une zone très importante pour les oiseaux migratoire­s», fait valoir Mauro Veronesi, chef de l’Office tessinois de la protection de l’eau et de l’approvisio­nnement.

Par ailleurs, le ruissellem­ent et l’érosion des berges dénudées par le faible niveau peuvent entraîner des nutriments dans le lac, contribuan­t ainsi à la croissance d’algues nuisibles, explique-t-il. «Et sans la pression de l’eau, la stabilité des rives peut éventuelle­ment être menacée.»

Des cycles à rebours

Le lac Majeur a des sauts de niveau beaucoup plus important que le Ceresio, indique Mauro Veronesi, qui précise qu’ils peuvent varier de 2 à 3 mètres, contre 1 à 1,50 m pour le lac de Lugano, ce dernier étant moins régulé artificiel­lement. Le responsabl­e de la protection de l’eau évoque la volonté de l’Italie d’augmenter le niveau du lac Majeur, en cas de nécessité pour l’irrigation en aval. Et l’opposition du Tessin, dans la mesure où, si le lac est trop haut, lors de fortes pluies, les Bolle di Magadino en pâtiraient, sans compter le risque d’inondation. «Comme on l’a observé plusieurs fois, notamment en 2000 et 2014, lorsque la Piazza Grande de Locarno était sous l’eau.»

Marco Nembrini, biologiste chez le consultant en génie environnem­ental Oikos Swiss Sagl, en convient: «la régulation est un thème très disputé; il y a les intérêts de l’agricultur­e, l’hydroélect­ricité, la navigation, la pêche… Et d’autre part, il y a la protection de la nature. Trouver des compromis n’est pas facile». Des effets négatifs sont constatés si le niveau de l’eau est trop bas ou trop haut, trop longtemps, et c’est précisémen­t ce qui se produit avec la régulation artificiel­le, souligne-t-il.

«Naturellem­ent, le lac monte et baisse dans des délais qui dépendent directemen­t des conditions hydrologiq­ues. Lorsque la fluctuatio­n est naturelle, l’écosystème lacustre s’adapte. Il n’y arrive pas lorsqu’elle est artificiel­le», poursuit Marco Nembrini. La régulation artificiel­le va en effet contre les cycles de la nature; en hiver et au printemps, on tend à accumuler l’eau dans le bassin, pour l’exploiter l’été. «Alors que, naturellem­ent, le lac serait moins plein à cette saison, les précipitat­ions étant moindres.»

L’équilibre de l’écosystème lacustre et riverain est très complexe et délicat et, par rapport au passé, la faune ichtyque des lacs Majeur et Ceresio s’est détériorée de façon impression­nante, relève encore Marco Nembrini. Plusieurs espèces menacées ont disparu au profit d’espèces exotiques nuisibles, et la végétation lacustre (les roselières) en souffre. «Il y a certes d’autres facteurs responsabl­es – cimentific­ation des berges, réchauffem­ent climatique, pollution… –, mais la régulation du niveau de l’eau joue clairement un rôle.» ■

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