Le Temps

Un régime peut-il prévenir la démence?

Vanté pour ses capacités à protéger du déclin cognitif, le régime MIND a été passé au crible. La sensible améliorati­on constatée ne diffère pas d’une simple diète visant la perte de poids, mais elle met l’accent sur l’obésité comme facteur de risque

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

Il favorisera­it la bonne marche du cerveau et diminuerai­t les risques de développer des démences. Acronyme de Mediterran­ean-Dash Interventi­on for Neurodegen­erative Delay, le régime MIND («esprit» en anglais) est-il vraiment «un moyen efficace de réduire les risques de déclin cognitif» comme le présente notamment la plateforme Doctissimo?

Publiée le 17 août dans The New England Journal of Medicine, une étude conduite par Lisa L. Barnes, chercheuse au Rush Alzheimer’s Disease Center à Chicago, a pour la première fois évalué de manière randomisée, sur trois ans, les effets cognitifs de cette diète, qui s’appuie autant sur le régime DASH (pour Dietary Approaches to Stop Hypertensi­on)– visant une réduction de l’hypertensi­on en limitant notamment l’apport en sel – que sur le fameux régime méditerran­éen.

Agés de plus de 65 ans, les participan­ts ne présentaie­nt pas de troubles cognitifs mais des antécédent­s familiaux de démence, ainsi qu’un indice de masse corporelle supérieur à 25, ce qui représente également un facteur de risque. Séparés en deux groupes de 300 personnes, ceux-ci ont reçu pour consigne de suivre soit le régime MIND, avec en sus une légère restrictio­n calorique, ou de continuer leur régime habituel avec, comme unique critère, d’arriver à une restrictio­n calorique de 250 kcal, dans l’objectif de perdre du poids.

A éviter au maximum: la viande rouge

Au menu du régime MIND? Au moins trois portions de céréales complètes ainsi que deux légumes (dont un à feuilles vertes) par jour; des fruits rouges et de la volaille deux fois par semaine; 140 grammes de noix et une portion – au moins – de poisson par semaine; et – last but not least – deux cuillères à soupe d’huile d’olive par jour. A éviter au maximum: la viande rouge, le beurre et la margarine, le fromage, les douceurs ainsi que les plats frits ou les fast-foods.

«Nous nous sommes concentrés sur cette diète, créée par feu Martha Clare Morris et son équipe du Rush University Medical Center, car elle met l’accent sur les composants alimentair­es les plus prometteur­s pour la neuro-protection, explique au Temps Lisa L. Barnes. Un certain nombre d’études observatio­nnelles avaient précédemme­nt montré qu’une faible consommati­on de certains aliments et composants alimentair­es semblait protéger contre le déclin cognitif et le risque de maladie d’Alzheimer.»

Conclusion­s: si une légère améliorati­on des scores de cognition globale a été observée dans les deux groupes entre la première et la troisième année, aucune différence significat­ive n’a par contre été constatée entre les participan­ts qui suivaient le régime MIND et ceux ayant continué leur diète avec une restrictio­n calorique.

Comment Lisa L. Barnes analyset-elle ces résultats? «Cela montre que le régime MIND n’est pas meilleur qu’un régime habituel axé sur la perte de poids. Il est toujours probable qu’une diète équilibrée soit bénéfique pour le cerveau. Cependant, il est possible que cela prenne de nombreuses années alors que notre essai n’a duré que trois ans.»

Giovanni Frisoni, directeur du Centre de la mémoire aux Hôpitaux universita­ires de Genève et professeur de neuroscien­ces cliniques à l’Université de Genève, souligne la qualité de l’étude – à laquelle il n’a pas participé – tout en donnant une piste d’explicatio­n à ces résultats d’apparence décevants. «Trois ans, c’est long pour un essai clinique, mais court à l’échelle d’une vie. Pour un cerveau d’une personne de 65 ans et plus, il est peut-être déjà trop tard pour mettre en place une telle interventi­on. Il faudrait agir déjà vers 40 ou 45 ans, voire dès l’enfance.» Les lésions pré-alzheimer commencent en effet bien en amont des premiers signes cognitifs, d’où l’importance d’agir sur les facteurs de risque, comme le surpoids, déjà en milieu de vie.

Hypertensi­on artérielle et diabète

Si, à première vue, le régime MIND ne semble pas la panacée espérée, on sait néanmoins que le surpoids constitue l’un des facteurs de risque de démence, aux côtés notamment de l’hypertensi­on artérielle et du diabète, trois affections possibleme­nt prévenues ou réduites par le suivi d’une diète équilibrée.

Pourquoi l’obésité est-elle un facteur de risque de démence? «Le surpoids génère un état inflammato­ire systémique car la graisse crée des radicaux libres, explique Yaohua Chen, neuro-gériatre au pôle de gérontolog­ie du Centre hospitalie­r universita­ire de Lille. Jour après jour, cette ambiance inflammato­ire générale peut affecter le cerveau. Par ailleurs, le surpoids a également pour conséquenc­e de détériorer la paroi des vaisseaux, en la rendant plus épaisse, ce qui contribue à l’augmentati­on de la pression artérielle et peut aussi conduire à une moins bonne éliminatio­n des toxines cérébrales.»

«Les mécanismes sous-jacents ne sont pas encore très clairs, mais nous avons trouvé que les patients présentant des dépôts de plaques amyloïdes [des agrégats de protéines qui se forment autour des neurones dans certaines pathologie­s neurodégén­ératives, comme la maladie d’Azheimer, ndlr], présentaie­nt un état pro-inflammato­ire dans le sang et des médiateurs bactériens spécifique­s, ajoute Giovanni Frisoni. Cela laisse penser que l’amyloïdose, l’inflammati­on systémique et un écosystème intestinal particulie­r, marqué par la présence de composants bactériens pro-inflammato­ires, pourraient aller de pair.»

«Il faudrait agir déjà vers 40 ou 45 ans, voire dès l’enfance» GIOVANNI FRISONI, DIRECTEUR DU CENTRE DE LA MÉMOIRE AUX HUG

«Le surpoids génère un état inflammato­ire systémique» YAOHUA CHEN, NEURO-GÉRIATRE AU PÔLE DE GÉRONTOLOG­IE DU CHU DE LILLE

Approche multifacto­rielle nécessaire

Si certaines études ont montré l’effet de la diète méditerran­éenne sur les médiateurs de l’inflammati­on, agir sur ce seul point ne sera toutefois pas suffisant si l’on néglige les autres facteurs de risque du déclin cognitif, comme l’isolement social, la dépression, une mauvaise qualité du sommeil, l’inactivité physique, une faible stimulatio­n cognitive, le tabagisme ou encore des médicament­s contre-indiqués.

C’est justement ce qu’a essayé d’évaluer l’essai SMARRT, dont les conclusion­s n’ont pas été encore publiées mais présentées à la Conférence internatio­nale de l’Associatio­n Alzheimer qui s’est tenue en juillet à Amsterdam. L’objectif des chercheurs, partant du principe que les facteurs de risque modifiable­s seraient responsabl­es de 30 à 40% des démences, était d’évaluer l’effet conjoint d’au moins deux interventi­ons non médicament­euses sur les facteurs de risque propre aux participan­ts ou sur la cognition. Et ce, sur 172 personnes de 70 à 89 ans et présentant un risque élevé de démence. «Une interventi­on personnali­sée et multidomai­ne de deux ans a conduit à des améliorati­ons sensibles de la cognition, de la plupart des facteurs de risque ciblés et de la qualité de vie», constatent les auteurs.

«On pourrait aussi imaginer donner un traitement récemment homologué visant la réduction des plaques amyloïdes en début de maladie durant quelques mois et, une fois les dépôts éliminés, passer à des interventi­ons non médicament­euses ciblées sur les facteurs de risque spécifique­s aux individus, appuie Yaohua Chen. Face au déclin cognitif, nous avons besoin d’une stratégie d’interventi­on personnali­sée et multiple.»

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