Un régime peut-il prévenir la démence?
Vanté pour ses capacités à protéger du déclin cognitif, le régime MIND a été passé au crible. La sensible amélioration constatée ne diffère pas d’une simple diète visant la perte de poids, mais elle met l’accent sur l’obésité comme facteur de risque
Il favoriserait la bonne marche du cerveau et diminuerait les risques de développer des démences. Acronyme de Mediterranean-Dash Intervention for Neurodegenerative Delay, le régime MIND («esprit» en anglais) est-il vraiment «un moyen efficace de réduire les risques de déclin cognitif» comme le présente notamment la plateforme Doctissimo?
Publiée le 17 août dans The New England Journal of Medicine, une étude conduite par Lisa L. Barnes, chercheuse au Rush Alzheimer’s Disease Center à Chicago, a pour la première fois évalué de manière randomisée, sur trois ans, les effets cognitifs de cette diète, qui s’appuie autant sur le régime DASH (pour Dietary Approaches to Stop Hypertension)– visant une réduction de l’hypertension en limitant notamment l’apport en sel – que sur le fameux régime méditerranéen.
Agés de plus de 65 ans, les participants ne présentaient pas de troubles cognitifs mais des antécédents familiaux de démence, ainsi qu’un indice de masse corporelle supérieur à 25, ce qui représente également un facteur de risque. Séparés en deux groupes de 300 personnes, ceux-ci ont reçu pour consigne de suivre soit le régime MIND, avec en sus une légère restriction calorique, ou de continuer leur régime habituel avec, comme unique critère, d’arriver à une restriction calorique de 250 kcal, dans l’objectif de perdre du poids.
A éviter au maximum: la viande rouge
Au menu du régime MIND? Au moins trois portions de céréales complètes ainsi que deux légumes (dont un à feuilles vertes) par jour; des fruits rouges et de la volaille deux fois par semaine; 140 grammes de noix et une portion – au moins – de poisson par semaine; et – last but not least – deux cuillères à soupe d’huile d’olive par jour. A éviter au maximum: la viande rouge, le beurre et la margarine, le fromage, les douceurs ainsi que les plats frits ou les fast-foods.
«Nous nous sommes concentrés sur cette diète, créée par feu Martha Clare Morris et son équipe du Rush University Medical Center, car elle met l’accent sur les composants alimentaires les plus prometteurs pour la neuro-protection, explique au Temps Lisa L. Barnes. Un certain nombre d’études observationnelles avaient précédemment montré qu’une faible consommation de certains aliments et composants alimentaires semblait protéger contre le déclin cognitif et le risque de maladie d’Alzheimer.»
Conclusions: si une légère amélioration des scores de cognition globale a été observée dans les deux groupes entre la première et la troisième année, aucune différence significative n’a par contre été constatée entre les participants qui suivaient le régime MIND et ceux ayant continué leur diète avec une restriction calorique.
Comment Lisa L. Barnes analyset-elle ces résultats? «Cela montre que le régime MIND n’est pas meilleur qu’un régime habituel axé sur la perte de poids. Il est toujours probable qu’une diète équilibrée soit bénéfique pour le cerveau. Cependant, il est possible que cela prenne de nombreuses années alors que notre essai n’a duré que trois ans.»
Giovanni Frisoni, directeur du Centre de la mémoire aux Hôpitaux universitaires de Genève et professeur de neurosciences cliniques à l’Université de Genève, souligne la qualité de l’étude – à laquelle il n’a pas participé – tout en donnant une piste d’explication à ces résultats d’apparence décevants. «Trois ans, c’est long pour un essai clinique, mais court à l’échelle d’une vie. Pour un cerveau d’une personne de 65 ans et plus, il est peut-être déjà trop tard pour mettre en place une telle intervention. Il faudrait agir déjà vers 40 ou 45 ans, voire dès l’enfance.» Les lésions pré-alzheimer commencent en effet bien en amont des premiers signes cognitifs, d’où l’importance d’agir sur les facteurs de risque, comme le surpoids, déjà en milieu de vie.
Hypertension artérielle et diabète
Si, à première vue, le régime MIND ne semble pas la panacée espérée, on sait néanmoins que le surpoids constitue l’un des facteurs de risque de démence, aux côtés notamment de l’hypertension artérielle et du diabète, trois affections possiblement prévenues ou réduites par le suivi d’une diète équilibrée.
Pourquoi l’obésité est-elle un facteur de risque de démence? «Le surpoids génère un état inflammatoire systémique car la graisse crée des radicaux libres, explique Yaohua Chen, neuro-gériatre au pôle de gérontologie du Centre hospitalier universitaire de Lille. Jour après jour, cette ambiance inflammatoire générale peut affecter le cerveau. Par ailleurs, le surpoids a également pour conséquence de détériorer la paroi des vaisseaux, en la rendant plus épaisse, ce qui contribue à l’augmentation de la pression artérielle et peut aussi conduire à une moins bonne élimination des toxines cérébrales.»
«Les mécanismes sous-jacents ne sont pas encore très clairs, mais nous avons trouvé que les patients présentant des dépôts de plaques amyloïdes [des agrégats de protéines qui se forment autour des neurones dans certaines pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Azheimer, ndlr], présentaient un état pro-inflammatoire dans le sang et des médiateurs bactériens spécifiques, ajoute Giovanni Frisoni. Cela laisse penser que l’amyloïdose, l’inflammation systémique et un écosystème intestinal particulier, marqué par la présence de composants bactériens pro-inflammatoires, pourraient aller de pair.»
«Il faudrait agir déjà vers 40 ou 45 ans, voire dès l’enfance» GIOVANNI FRISONI, DIRECTEUR DU CENTRE DE LA MÉMOIRE AUX HUG
«Le surpoids génère un état inflammatoire systémique» YAOHUA CHEN, NEURO-GÉRIATRE AU PÔLE DE GÉRONTOLOGIE DU CHU DE LILLE
Approche multifactorielle nécessaire
Si certaines études ont montré l’effet de la diète méditerranéenne sur les médiateurs de l’inflammation, agir sur ce seul point ne sera toutefois pas suffisant si l’on néglige les autres facteurs de risque du déclin cognitif, comme l’isolement social, la dépression, une mauvaise qualité du sommeil, l’inactivité physique, une faible stimulation cognitive, le tabagisme ou encore des médicaments contre-indiqués.
C’est justement ce qu’a essayé d’évaluer l’essai SMARRT, dont les conclusions n’ont pas été encore publiées mais présentées à la Conférence internationale de l’Association Alzheimer qui s’est tenue en juillet à Amsterdam. L’objectif des chercheurs, partant du principe que les facteurs de risque modifiables seraient responsables de 30 à 40% des démences, était d’évaluer l’effet conjoint d’au moins deux interventions non médicamenteuses sur les facteurs de risque propre aux participants ou sur la cognition. Et ce, sur 172 personnes de 70 à 89 ans et présentant un risque élevé de démence. «Une intervention personnalisée et multidomaine de deux ans a conduit à des améliorations sensibles de la cognition, de la plupart des facteurs de risque ciblés et de la qualité de vie», constatent les auteurs.
«On pourrait aussi imaginer donner un traitement récemment homologué visant la réduction des plaques amyloïdes en début de maladie durant quelques mois et, une fois les dépôts éliminés, passer à des interventions non médicamenteuses ciblées sur les facteurs de risque spécifiques aux individus, appuie Yaohua Chen. Face au déclin cognitif, nous avons besoin d’une stratégie d’intervention personnalisée et multiple.»
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