Novartis ciblé par le gouvernement américain
Un traitement contre l’insuffisance cardiaque du groupe bâlois fait partie de la liste des dix traitements dont la Maison-Blanche entend faire baisser les prix. Le laboratoire juge la mesure inconstitutionnelle
Joe Biden a décidé d’entamer un bras de fer avec les entreprises pharmaceutiques, et Novartis fait partie des entreprises qui figurent dans son viseur. Mardi, le gouvernement américain a présenté la liste des dix premiers traitements qui feront l’objet de négociations dans le cadre du programme national d’assurance maladie du gouvernement des Etats-Unis. L’Entresto, un traitement du géant pharmaceutique rhénan contre l’insuffisance cardiaque chronique, fait partie de cette première sélection. En 2022, le médicament était le deuxième le plus vendu par le groupe bâlois avec 4,6 milliards de dollars (soit 4 milliards de francs) de chiffre d’affaires, dont environ la moitié pour le seul marché américain.
«Tandis que l’industrie pharmaceutique réalise des bénéfices record, des millions d’Américains sont contraints de choisir entre acheter les médicaments dont ils ont besoin pour vivre et payer la nourriture, le loyer et d’autres nécessités de base. Cette époque est révolue», déclare Joe Biden dans un communiqué.
Cette mesure s’inscrit dans le cadre de la loi sur la réduction de l’inflation (IRA) votée en août 2022. Selon le Bureau du budget du Congrès américain, ces négociations permettraient d’économiser 98,5 milliards de dollars en dix ans. Mais les acteurs de l’industrie pharmaceutique ont déjà pris leur disposition pour s’opposer à ces négociations.
Fortes amendes et contestations
Les entreprises concernées ont jusqu’au 1er octobre pour faire savoir si elles comptent participer aux négociations. En cas de refus, elles pourront être amenées à payer une taxe d’accise (qui porte sur la quantité vendue et non sur la valeur) pouvant concerner jusqu’à 95% des ventes du traitement aux Etats-Unis ou retirer l’ensemble de leur produit des programmes Medicare et Medicaid. Un prix, avec un minimum de 25% de réduction, doit être proposé le 1er février et les négociations prendront fin en août prochain. Les nouveaux tarifs entreront en vigueur en 2026.
Plusieurs laboratoires ont engagé des actions en justice. Ces contestations portent essentiellement sur la constitutionnalité de la loi qui permet à Medicare de négocier directement les prix avec les entreprises pharmaceutiques.
Novartis n’a pas (encore) engagé d’action judiciaire. Dans un communiqué publié après la révélation de la liste, la pharma bâloise qualifie «d’inconstitutionnelles» les dispositions de la loi relatives à la fixation des prix. «Nous continuons d’évaluer toutes nos options juridiques, confirme au Temps un porte-parole. Nous estimons que ces dispositions auront des conséquences durables et dévastatrices pour les patients.»
Les acteurs de l’industrie estiment aussi avoir déjà fait des efforts sur les prix. «Le prix catalogue actuel d’Entresto aux EtatsUnis est de 667,97 dollars par mois. Novartis a négocié des remises importantes avec de nombreux payeurs, y compris Medicare. En moyenne, ses bénéficiaires paient moins de 50 dollars par mois», souligne son porte-parole.
«Des Américains sont contraints de choisir entre acheter leurs traitements ou acheter les autres biens de base. Cette époque est révolue» JOE BIDEN, PRÉSIDENT AMÉRICAIN
Un générique attendu pour 2025
Les ventes liées au programme Medicare ne représentent que la moitié de la totalité des ventes d’Entresto aux Etats-Unis. «Il est un peu surprenant de voir l’Entresto sur cette liste, relève Stefan Schneider, analyste pour Vontobel. Selon les prévisions de Novartis, les premiers biosimilaires pourraient être lancés aux EtatsUnis à la mi-2025, avant l’entrée en vigueur des prix fixés.» Le traitement de Novartis est protégé par plusieurs brevets, dont le dernier expirera en 2036. Cependant, comme il n’existe pas de brevet de composé, il est actuellement difficile de dire quand les premiers traitements alternatifs seront commercialisés.
La fin de l’exclusivité pour l’Entresto est de fait présente dans les esprits depuis déjà un moment. «Le marché avait déjà intégré une baisse significative de 41% des ventes entre 2025 et 2030 aux EtatsUnis pour l’Entresto. L’impact sur l’action Novartis est donc limité avec une baisse ce jour de 0,4%», relève Arthur Jurus, directeur des investissements de la banque Oddo BHF Suisse.
Dans les faits, des traitements destinés à prendre le relais des ventes de l’Entresto sont déjà sur les rangs. «On ne remplace pas facilement un blockbuster [médicament qui a généré plus d’un milliard de revenus, ndlr], rappelle Stefan Schneider. Dans l’année qui suit l’arrivée de génériques, les revenus d’un traitement baissent très rapidement, il faut donc que ses remplaçants soient déjà sur le marché». Ce remplaçant pourrait être, par exemple le Leqvio, un potentiel blockbuster également indiqué pour une maladie cardiovasculaire.
Si les laboratoires s’opposent à cette mesure, c’est surtout parce qu’elle créerait un précédent. Pour les quatre ans à venir, Medicare prévoit de négocier les prix de 60 traitements et de s’attaquer ensuite chaque année à 20 médicaments de plus. L’industrie craint aussi que les informations transmises à l’assurance publique pour les négociations puissent être utilisées par leurs homologues privés pour négocier leurs contrats à la baisse.
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