Le double discours des gérants d’actifs américains agace les investisseurs
La schizophrénie des gros gérants en matière de problématiques ESG n’est pas du goût de tous. Certains menacent de sanctionner cette attitude, qui répond à la double pression des républicains et du régulateur
Une série de déclarations récentes émanant des groupes américains BlackRock, State Street et Vanguard confirment les données du cabinet de conseil Institutional Shareholder Services relatives au déclin du soutien des actionnaires aux propositions environnementales et sociales (ESG). La médiane s’établissait fin mai 2023 à 15% depuis le début de l’année, contre 25% en 2022 et 32% en 2021. Les trois plus gros gérants d’actifs mondiaux invoquent le manque de pertinence des résolutions déposées par les actionnaires des sociétés cotées.
Cette marche arrière sur les trois dernières années coïncide avec la montée des voix contre des mesures qualifiées de «woke» ou de «contre-productives» par les élus locaux et fédéraux du Parti républicain. A cette fronde répond une grogne de plus en plus forte des investisseurs institutionnels, des fonds de pension aux collectivités territoriales. Les gérants de fonds ne peuvent risquer de les perdre en ignorant les critiques contre leurs fonds prétendument ESG. Ces fonds sont par ailleurs dans le collimateur du gendarme boursier américain, la SEC.
«En raison de leur portée excessive, de leur manque de mérite économique ou de leur simple redondance, de nombreuses propositions n’étaient pas susceptibles de contribuer à la promotion de la valeur actionnariale à long terme et ont reçu moins de soutien de la part des actionnaires, y compris de BlackRock, que par le passé» a justifié cette semaine le numéro un mondial qui gérait au 30 juin dernier 9425 milliards de dollars. L’entreprise new yorkaise dirigée par Larry Fink a ainsi soutenu 7% des résolutions ESG depuis le début de l’année contre 22% en 2022, et 47% en 2021.
Vanguard, à la tête de 7700 milliards de dollars fin avril 2023, s’est contenté d’un petit 2% contre 7% en 2022. «Cette baisse est en grande partie attribuable au volume et à la nature des propositions d’actionnaires, ainsi qu’aux changements décidés par la SEC en novembre 2021» précise un rapport du groupe de Pennsylvanie.
La grogne monte
En dépit de tout, le trio, qui détient ensemble environ 20% des entreprises de l’indice phare américain S&P 500, n’a pas été épargné par le candidat républicain Vivek Ramaswamy aux primaires présidentielles de 2024. «Ils utilisent votre propre argent pour imposer des programmes ESG aux conseils d’administration des entreprises en votant pour des «audits d’équité raciale» et des «plafonds d’émissions de scope 3», qui ne servent pas au mieux vos intérêts financiers a fustigé le fondateur du gestionnaire d’actifs Strive AM.
«Le cartel le plus puissant de l’histoire de l’humanité», selon l’expression du candidat d’origine indienne, se trouve aussi dans le radar des gros fonds de pension et autres mastodontes institutionnels publics et privés. La plupart d’entre eux les accusent de céder à «la guerre contre les ESG», comme l’a dénoncé le contrôleur des comptes du fonds de pension de la ville de New York (250 milliards de dollars d’avoirs), Brad Lander.
Un revirement des investisseurs coûterait cher à ces gérants qui n’hésitent pas à augmenter leurs frais de gestion sur les fonds labellisés ESG. Les gérants auront beau boycotter les critères ESG, ils n’échapperont pas aux demandes de justificatifs croissantes de la division des enquêtes de la SEC qui les scrute depuis sa création en mars 2021.
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