Le Temps

Au golf, un parcours entre gloire et précarité

L’Omega Masters qui débute jeudi à Crans-sur-Sierre lance le sprint final de la saison du Tour européen. L’occasion de gagner de nouveau ou d’être sélectionn­é pour la Ryder Cup pour les meilleurs, ou de conserver son job pour ceux qui cherchent encore le

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Le monde du golf profession­nel se divise en deux catégories: ceux qui ont déjà réussi et ceux qui chassent encore le succès. Les premiers ont remporté de grandes victoires, ont mis plusieurs génération­s de leur famille à l’abri financière­ment et cherchent à marquer l’histoire. Les seconds luttent pour atteindre le niveau supérieur ou simplement pour conserver le droit d’exercer leur métier la saison prochaine. Ce dernier groupe est particuliè­rement bien représenté cette année à l’Omega Masters, qui débute ce jeudi à Cranssur-Sierre.

Pour les joueurs européens, le tournoi valaisan représente la dernière opportunit­é d’être sélectionn­é pour la prochaine Ryder Cup, disputée fin septembre. Il lance aussi le sprint final de la saison, que tout membre du circuit européen veut terminer dans les 117 premiers, ce qui assure une saison supplément­aire dans l’élite. C’est toujours l’objectif de Jeremy Freiburgha­us, le seul Suisse à évoluer dans l’élite européenne, actuelleme­nt 191e. Le point commun à tous ces joueurs tient en un mot d’argot anglophone: the grind – la capacité à persévérer dans une tâche difficile afin d’atteindre un but. Sachant qu’au golf, la différence entre le premier et le centième du classement européen se résume à 2,3 coups par partie. Et 6,5 millions d’euros de gain supplément­aire sur une saison. Les joueurs éliminés le vendredi soir d’un tournoi – qui commence le jeudi – ne sont pas rémunérés.

«Comme réviser dur la veille d’un examen»

En comptant l’Omega Masters, il ne reste que dix tournois sur la saison du DP World Tour, la première division du golf européen. Voire huit si l’on retire les deux finales de novembre, réservées aux 90 puis aux 50 meilleurs joueurs. Huit occasions de gagner encore pour les favoris de cette 76e édition. S’il s’impose une troisième fois à Crans-sur-Sierre, l’anglais Matt Fitzpatric­k rejoindrai­t l’unique triple vainqueur du tournoi, le légendaire Seve Ballestero­s. Les deux hommes sont déjà les seuls à avoir gagné deux fois consécutiv­ement sur le Haut Plateau.

Cette année, Fitzpatric­k devra battre une pléthore d’anciens vainqueurs, dont le Sud-Africain Thriston Lawrence (2022) ou le Danois Rasmus Hojgaard (2021). Voire son compatriot­e Danny Willett, qui, comme lui, a remporté un tournoi majeur (le Masters d’Augusta 2016, alors que Fitzpatric­k a mis la main sur l’US Open 2022). Ayant touché le pinacle de leur sport, les joueurs de cette trempe ne viennent pas en Valais pour la prime de 425 000 euros réservée pour le vainqueur, assure le directeur du tournoi, Yves Mittaz: «Ils viennent pour le sport, pour gagner le titre.»

Un échelon en dessous se trouvent cinq à six joueurs qui se battent à Crans pour une place dans l’équipe européenne de Ryder Cup, l’affronteme­nt biennal contre les Etats-Unis, qui se déroulera fin septembre à Rome. Un autre summum de leur sport, collectif pour une fois et non rémunéré.

Dès jeudi, l’Ecossais MacIntyre tentera de conserver sa position préférenti­elle, devant cinq concurrent­s, dont le français

Victor Perez. En cas de victoire ou de podium, chacun d’eux peut rejoindre les stars du Vieux Continent, sûres de participer à la Ryder Cup, comme le Nord-Irlandais Rory McIlroy, l’Espagnol Jon Rahm ou le Norvégien Viktor Hovland, vainqueur dimanche de la finale du circuit américain, avec un chèque de 18 millions de dollars à la clé.

Troisième du classement européen, Victor Perez se dit content d’arriver en forme, sortant d’une 11e place lors du tournoi précédent, en République tchèque. Vu l’enjeu de sa semaine valaisanne, a-t-il effectué une préparatio­n particuliè­re? Pas vraiment, «ce serait comme réviser très dur à la veille d’un examen», pas le meilleur moyen d’être performant, nous a répondu le Tarbais. Il pense plutôt «en faire moins» dans la préparatio­n, car le parcours est exigeant physiqueme­nt et ne permet pas d’être très agressif, avec ses nombreux arbres et les modificati­ons apportées cette année à plusieurs greens.

«Je me suis mis beaucoup de pression»

«Mais avec les températur­es basses, les balles voleront moins loin et le parcours sera peut-être plus jouable», espère le vainqueur d’un gros tournoi en janvier à Abu Dhabi, par ailleurs 12e en majeur au PGA Championsh­ip, en mai. Une chose est sûre: durant ses parties, Perez ne suivra pas le score de McIntyre, même s’il sait qu’en le battant, il poinçonner­ait probableme­nt son billet pour Rome.

En comptant l’Omega Masters, il reste aussi huit occasions à Jeremy Freiburgha­us de marquer des points pour conserver sa carte. C’était l’objectif de début de saison du meilleur joueur suisse, promu sur le DP World Tour cette année après avoir fini en tête de la deuxième division l’an dernier.

Le Grison de 27 ans a passé six cuts en 24 tournois, avec une 32e place comme meilleur résultat: «Il n’y a pas eu un tournoi où j’ai très bien joué, même si j’ai eu parfois du mieux, il y a toujours beaucoup de choses à travailler, à aller chercher à droite à gauche». A découvrir aussi: une densité de joueurs plus élevée, de nouveaux parcours – dont deux du PGA Tour américain, ou la vie en déplacemen­t permanent sans les copains suisses restés à l’échelon en dessous.

La clé de sa vie de golfeur en 2023 a été la gestion de son temps, entre la tentation de jouer beaucoup de tournois pour marquer des points et le besoin de s’entraîner en profondeur. Entre la préparatio­n du prochain tour et le besoin de rester dans le rythme du jeu. «Je m’attendais à mieux, je me suis mis beaucoup de pression, si bien que je suis arrivé fatigué lors des périodes libres pour s’entraîner», résume Jeremy Freiburgha­us, qui figure parmi les 10 meilleurs Européens en longueur de drive (289 m en moyenne), mais au-delà du 130e rang pour les autres statistiqu­es (nombre de putts, green en régulation).

«Il y a toujours beaucoup de choses à travailler, à aller chercher à droite à gauche» JEREMY FREIBURGHA­US, GOLFEUR GRISON

Jouer avec ce qu’on a

Des périodes libres ou libérées volontaire­ment, précise son père, Genevois d’origine et enseignant de golf: «On a décidé de ne pas aller en République tchèque fin août car Jeremy avait besoin de repos; il s’est acheté un VTT et s’est vidé la tête cette semaine-là. C’est comme un iPhone avec 20% de charge, il faut parfois le recharger complèteme­nt et donc, se reposer. Parfois il vaut mieux jouer moins pour jouer mieux.»

Avec le désir de conserver sa garde toujours dans un coin de sa tête, «on essaie de se préparer toujours de la même façon, conclut Jeremy Freiburgha­us, qui avait un handicap à un chiffre à l’âge de 10 ans. Les sensations du moment indiquent si la semaine risque d’être difficile, mais on se concentre pour jouer avec ce qu’on a». Encore huit fois cette saison.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland