Sur la stratégie russe en Ukraine
Dans sa tribune récente (LT du 08.01.2024), Eric Hoesli nous rappelle la situation dramatique de l’Ukraine et réfléchit aux scénarios possibles d’une fin de la guerre. Il évoque, non sans nostalgie, les négociations de paix qui avaient eu lieu au début de la guerre, notamment celles du 29 mars 2022 à Istanbul, et qui auraient pu aboutir, insinue-t-il, si seulement le gouvernement ukrainien ainsi que les gouvernements des pays occidentaux qui le soutiennent l’avaient voulu. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que M. Hoesli nous parle de ces négociations, pas la première fois non plus qu’il attribue la responsabilité de leur échec à l’Ukraine et aux pays de l’OTAN.
Puis-je rappeler à M. Hoesli qu’à partir de 1991 déjà, année de son indépendance, l’Ukraine avait rendu ses armes nucléaires à la Russie, contre la garantie de celle-ci, par le Memorandum de Budapest en 1994, de respecter les frontières ukrainiennes telles quelles. Avec l’invasion de la Crimée en mars 2014 ainsi que le soutien des séparatistes et la guerre «grise» menée dans le Donbass depuis la même année, la Russie a prouvé qu’elle n’est pas un négociateur fiable aux garanties duquel on peut faire confiance.
Puis-je rappeler aussi que c’était l’Ukraine même qui, le 29 mars 2022, avait mis sur table une proposition de trêve qui prévoyait entre autres qu’elle renonce à devenir membre de l’OTAN – contre des garanties de sécurité de la part des pays occidentaux qui, eux, n’étaient pas prêts à un tel engagement.
Rappelons surtout que le gouvernement ukrainien a quitté la table des négociations non pas parce que les pays de l’OTAN (ou un clown de Downing Street) l’auraient souhaité, mais à cause du massacre de Boutcha qui a été découvert dans sa monstruosité à partir du 2 avril 2022. C’est la violence extrême de ce crime et de tous les autres, à Marioupol, à Izioum, Irpin et ailleurs, ce sont les indicibles carnages commis par la Russie qui ont mis fin à la volonté des Ukrainiens de négocier. Et qui sommes-nous pour le leur reprocher?
L’auteur de la tribune joue avec nos peurs d’une escalade du conflit et parle du «plan B» du président russe qui impliquerait une «guerre totale». En outre, il nous fait croire qu’un statut d’Etat neutre et une démilitarisation de l’Ukraine suffiraient pour que Poutine retire ses troupes: celui-ci aurait attaqué l’Ukraine uniquement pour l’empêcher de se faire avaler par l’OTAN!
Est-ce qu’on doit vraiment rappeler à M. Hoesli, fin connaisseur de la Russie, les raisons de l’invasion du 24 février 2022? Est-ce qu’il préfère ignorer les loufoqueries de l’historien amateur Poutine ou la situation démographique par laquelle ce dernier voit la stabilité de «son» empire menacée? Car la suprématie de l’ethnie russe dans l’immense pays multiethnique qu’est la Russie ne se justifie que si les Russes ethniques sont en majorité. Or, sans les Ukrainiens («les petits Russes») et les Biélorusses: point de majorité. La visée russe dans l’agression abominable de l’Ukraine est clairement impériale, avec comme objectif une russification du peuple ukrainien.
Cessons de jouer le jeu du Kremlin. N’oublions surtout pas que l’Ukraine se bat pour sa survie. ■