Evergrande, révélateur des démons chinois
Bien malin qui peut dire quel sera l’impact de la mise en liquidation du géant chinois de l’immobilier. Seule certitude: il incarne les défis que Pékin doit surmonter face à sa première véritable mise à l’épreuve économique en trente ans d’ouverture
Après l’annonce lundi de la mise en liquidation du groupe immobilier Evergrande à Hongkong, la réaction des marchés était attendue mardi. De fait, l’ancienne colonie britannique a bien vu sa place boursière tanguer, avec une baisse de son principal indice de 2,32%. Basé à Shanghai, son pendant continental essuie, lui, un repli de 1,83%.
Plus de deux ans après l’éclatement de la bulle immobilière chinoise, la décision de la juge Linda Chan, impatiente face au manque d’avancées probantes dans les discussions d’Evergrande avec ses créanciers, provoque conjectures et spéculations. Jamais en trois décennies d’ouverture Pékin n’a fait face à un dossier aussi épineux. C’est que l’adage «quand le bâtiment va, tout va» est encore plus une réalité dans un pays en développement que dans des économies avancées, souvent mieux armées pour absorber le choc.
A l’interne, la capacité du pouvoir à relancer la machine est capitale pour favoriser la consolidation d’une classe moyenne encore largement insuffisante. Sur le plan financier, les investisseurs vont, eux, scruter de près la manière dont Pékin va réagir à la suite de la décision de justice hongkongaise.
Kyrielle d’annonces
Traditionnellement, les autorités chinoises ne voient pas d’un bon oeil les faillites retentissantes et privilégient des restructurations de dette à longue échéance. A l’heure actuelle, il n’est donc pas sûr que la liquidation devienne effective dans le reste de l’Empire du Milieu. Cette incertitude rappelle à quel point les règles du capitalisme d’Etat chinois restent floues.
Dans la bouteille à encre que représente cette affaire surnage tout de même une évidence: dans les bureaux de l’administration chinoise, les experts ne doivent pas ménager leurs efforts pour trouver la meilleure parade. Après avoir trop attendu pour déconfiner son pays, trop tardé à prendre des mesures de relance conjoncturelle, le président Xi Jinping et son gouvernement ont compris l’urgence de la situation. Bien loin des projecteurs occidentaux, les autorités nationales et locales ont fait entre le 5 et le 28 janvier une kyrielle d’annonces destinées à soutenir l’activité économique, que Bloomberg s’est attaché à lister.
Le secteur immobilier représente la première cible des efforts consentis. Selon les observations de l’agence d’information financière, Canton, l’une des plus grandes villes du pays, a par exemple assoupli les conditions d’achat de logements pour tenter d’enrayer la chute des prix. Pékin, Shanghai et Shenzhen
La situation est loin d’être désespérée car le pays recèle encore un fort potentiel de croissance s’il réussit à rassurer
avaient déjà abaissé les exigences en matière d’acompte. Le Ministère de l’habitat va lui établir une liste d’objets éligibles pour des soutiens financiers. Quant aux banques, elles sont exhortées à faire preuve de clémence et de souplesse envers leurs débiteurs immobiliers. Elles devront d’ailleurs «parquer» moins d’argent auprès de leur banque centrale, la limite des réserves obligatoires ayant été abaissé afin de libérer quelque 140 milliards de dollars.
Pour reprendre une image souvent prêtée à l’action de Mario Draghi, alors à la tête de la Banque centrale européenne, on n’est pas loin de la «grosse Bertha» financière, même s’il faudra sans doute davantage pour restaurer la confiance des consommateurs et des investisseurs. Le secteur du bâtiment représente le principal mal économique actuel mais il n’est pas le seul démon que Pékin doit affronter. Si les bourses chinoises ont flanché dans la nuit de lundi et de mardi, c’est aussi parce que le constructeur automobile BYD a annoncé des résultats décevants. La faiblesse de la demande interne pousse d’ailleurs le fabricant de voitures électriques à s’exporter en Europe, au grand dam des groupes locaux et des autorités politiques qui ont ouvert une enquête pour concurrence déloyale.
Depuis la fin des années 1980, le Parti communiste a su parfaitement mettre à profit le mouvement de globalisation économique mondial. Après avoir favorisé l’émergence d’une génération d’entrepreneurs de la tech, le pouvoir a serré la vis à temps pour éviter la création de contre-pouvoirs économiques. En s’acharnant à maintenir trop longtemps à domicile une population bien moins aisée que dans les pays occidentaux pour cause de covid, il a en revanche involontairement jeté de l’huile sur une crise en devenir et fait désormais face à sa première réelle mise à l’épreuve économique.
De là à enterrer le dragon chinois, il y a un pas qu’il serait bien imprudent de franchir. La situation est loin d’être désespérée car le pays recèle encore un fort potentiel de croissance s’il réussit à rassurer. Une nécessité qui, ironiquement, représente peutêtre la meilleure garantie de sécurité pour Taïwan. Ces derniers mois, Pékin a multiplié les signes d’apaisement envers les Etats-unis et l’Europe, mettant ainsi la priorité sur le rétablissement économique.
Pour l’heure. Car la Chine est patiente. Au court-termisme des marchés financiers, elle oppose le temps long de ses ambitions géopolitiques.
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