La lumière blanche, bête noire du spleen hivernal
Pour une personne sur dix, grisaille et froid riment avec dépression saisonnière. La solution peut se trouver dans la luminothérapie
Il aura suffi que le soleil revienne ces derniers jours, que la chambre s’enveloppe d’un timide rayonnement matinal, pour qu’apparaisse l’envie de commencer sa journée du bon pied. C’est l’exception qui confirme la règle; le refrain de la saison froide chantant plutôt le ciel sombre et les journées courtes. Ce manque de luminosité fait plonger le moral de bon nombre d’entre nous.
Cette forme de léthargie hivernale a un nom: le trouble affectif saisonnier (seasonal affective disorder, ou SAD, en anglais), communément appelé «dépression saisonnière». Un syndrome qui concerne majoritairement la tranche d’âge entre 20 et 40 ans avec une prépondérance chez les femmes, selon un rapport d’Unisanté, et qui résulte d’un changement du rythme circadien – le savant nom de l’horloge interne. Chez les sujets sensibles, la baisse de la luminosité déclenche un dérèglement et perturbe la production de mélatonine et de sérotonine – l’hormone du sommeil et l’hormone du bonheur. Résultats: l’humeur en prend un coup, le tonus aussi.
Du bon usage des lux
Céline, elle, préfère le terme d’engourdissement. «Il faut voir ça comme une sorte de mollesse généralisée, un manque d’entrain qui s’installe», raconte l’employée en radiopharmacie de 45 ans. «On se sent constamment fatigué, il devient difficile de se motiver à accomplir quoi que ce soit.» Cela fait dix ans qu’elle s’est tournée vers la luminothérapie. Agacée, à l’époque, par ces épisodes annuels de blues, elle décide d’acheter son premier appareil. «J’ai même retrouvé le ticket. C’était en octobre 2013.» Ce ne sera pas une lampe, mais des lunettes de luminothérapie. Un système d’exposition à la lumière blanche, mais à porter sur le nez. Bien plus pratique. «Avec quatre enfants, impossible de rester immobile une demiheure au réveil», confie-t-elle.
Ce trouble est fréquent. «Jusqu’à une personne sur dix», précise la Dre Anne-Sophie Lombardi, psychiatre et somnologue au Centre d’investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) du CHUV. A la liste des symptômes, elle ajoute l’augmentation de l’appétit.
Le traitement par la lumière peut prendre plusieurs formes, plusieurs tailles, et plusieurs lux (l’unité de mesure de l’éclairement lumineux). Alors, comment s’y retrouver? Bénédicte Wildhaber, directrice de Medi-lum et spécialiste du secteur en Suisse romande, livre le même conseil à tous ses clients: «Il faut si possible choisir une lampe qui permet la plus grande régularité, qui ne va pas nous ennuyer dans nos habitudes, afin de pouvoir effectuer sa séance aux premières heures de la journée.» Un minimum de quatre à cinq utilisations par semaine est requis, prévient-elle. «Certains veulent des gros luminaires fixes, d’autres des modèles transportables pour osciller entre télétravail et bureau.» Quant aux lux, tout est une question de dosage. «C’est comme un médicament lambda, on conseille d’augmenter les lux en fonction des besoins en lumière et de la sévérité des symptômes. L’intensité minimale étant 2000 lux, à une distance confortable de 30 centimètres».
S’il est difficile de savoir combien de personnes ont recours à la luminothérapie, et dans quel contexte précisément, le marché semble plutôt en croissance. C’est le constat que fait Bénédicte Wildhaber. «Il est important de distinguer la catégorie médicale, soit sous prescription d’un médecin, qui, elle, constitue un marché relativement stable.» C’est davantage dans les démarches personnelles qu’une progression se remarque. «Depuis cinq ans, la tendance est à la hausse.» Elle l’explique notamment par une sensibilité grandissante au bienêtre, le bouche-à-oreille et par de nouveaux réflexes, à orientation non pharmacologique, au sein des professionnels de la santé et du grand public.
En Suisse, le traitement par luminothérapie est reconnu par la caisse maladie obligatoire de base. «Une exception à l’échelle européenne», souligne la directrice de Medilum. Ainsi, d’après la loi fédérale sur l’assurance maladie, une partie des coûts peuvent être remboursés. A deux conditions, précise Jean-Christophe Aeschlimann, le porte-parole du Groupe Mutuel. La luminothérapie doit avoir été prescrite par un médecin dans l’indication de trouble affectif saisonnier, et la lampe doit être conforme à la liste des moyens et appareils. Pour être conformes à ladite liste, actualisée au 1er janvier 2024, les lampes doivent être dotées d’une puissance de 10 000 lux à une distance d’environ 30 centimètres durant trente minutes. «Dans le cas d’un achat, les remboursements vont jusqu’à 300 francs, tous les cinq ans. Pour la location d’une lampe, l’assurance obligatoire des soins rembourse la somme de 1 franc par jour pour une durée maximale d’un mois», poursuit le porte-parole.
«Un sous-type de trouble dépressif»
Si le terme peut inquiéter, parler de «dépression» est médicalement correct. «Il s’agit d’un sous-type de trouble dépressif récurrent, il partage donc des facteurs de risque et des symptômes avec les autres types de dépression», indique Dre Anne-Sophie Lombardi. Céline ose une nuance. «J’ai été sujette à plusieurs périodes dépressives. Ces épisodes de blues hivernaux se distinguent des «vraies» dépressions.» Alors bien sûr, dit-elle, déterminer – et nommer – les causes demeure un exercice difficile. «Mais là, c’est différent. On ressent que ce n’est pas aussi profond. La dépression saisonnière est cyclique; elle n’a pas d’explication objective si ce n’est la venue de l’hiver et le raccourcissement des journées.»
Que les axes thérapeutiques soient les mêmes ne fait aucun doute, selon la docteure. «Les traitements sont similaires aux autres types de dépression. On retrouve une prise en charge en psychothérapie, voire éventuellement la prescription de psychotropes.» La luminothérapie, elle, reste encore largement cantonnée au traitement de la dépression saisonnière. Regrettable, selon Bénédicte Wildhaber. «La littérature scientifique démontre que la luminothérapie est intéressante dans une complémentarité d’approche. En tant que soutien à des antidépresseurs, par exemple. Ou lors de situations sensibles comme une grossesse, pour réduire ou éviter certains médicaments.»
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