Bilatérales III, le suspense
Après l’abandon de l’accord-cadre en 2021, le Conseil fédéral a reçu le feu vert pour entamer les négociations des bilatérales III avec l’Union européenne. Il y a fort à parier que cet accord, une fois qu’il aura été âprement marchandé, sera soumis au peuple en référendum obligatoire ou facultatif. La crédibilité du gouvernement sera en jeu, aussi bien sur le plan intérieur qu’européen. Un nouvel échec sonnerait le glas pour longtemps de relations apaisées avec l’UE.
Ce n’est pas du côté de l’économie que viendra le danger, tant il est évident qu’elle tire profit des traités qui régissent divers secteurs d’activité, et sachant en outre que la stabilité du droit avec son principal partenaire est une de ses revendications constante. La population se montre très ouverte à cet argument qui touche à la prospérité de la Suisse, donc au plein-emploi et au bien-être général.
D’ailleurs, lors de chaque scrutin concernant les relations avec l’UE, le risque de difficultés économiques fut avancé pour convaincre. Le peuple suisse, qu’on accuse de voter avec son porte-monnaie ne répond en réalité qu’aux stimuli qu’on lui envoie. C’est donc au niveau des contreparties à fournir et des couleuvres à avaler que se cristallisera le débat.
Deux sondages (pour les milieux économiques et pour le Mouvement européen Suisse) assez récents nous renseignent utilement sur les pierres d’achoppement dont il convient de se méfier. On y trouve confirmation que la voie bilatérale avec l’UE est nettement jugée avantageuse par la population. Toutefois, les Tessinois et les tenants de l’UDC se démarquent, ainsi que les sans-parti dont il faut toujours tenir compte tant ils sont nombreux (entre un quart et un tiers des citoyens) et préfèrent généralement le statu quo à l’aventure.
Ce sondage montre encore que deux tiers des répondants sont d’accord avec l’ouverture des négociations sur les bilatérales III et que 72% voteraient oui à un accord final s’il correspondait aux désirs formulés par le Conseil fédéral, qui les présente évidemment sous un angle exclusivement positif.
Jugez-en: réintégration dans les programmes de recherche, maintien de la protection salariale actuelle, réduction des charges à l’exportation, amélioration de l’approvisionnement énergétique, reprise du dialogue sur les marchés financiers… Comment dire non à un tel catalogue basé sur le postulat idéal que tous les voeux suisses seront exaucés, sans compensations fâcheuses?
A l’inverse, un certain nombre d’inconvénients sont fortement présents dans l’esprit des sondés. Ainsi, les Suisses craignent plus qu’auparavant les effets négatifs de l’immigration, et six sur dix nient qu’être arrimés à l’UE permette de s’en prémunir. Sachant l’importance de cette thématique, c’est un facteur à surveiller. De même, le risque de pression exercée sur les salaires suisses suscite des inquiétudes réitérées. Pour l’instant, l’Union syndicale suisse (USS) s’est déclarée favorable à l’ouverture des négociations, mais à ses conditions bien entendu. Attendons de voir ce qu’il en résultera.
Reste finalement l’impression prégnante chez les Suisses que leur pays cède devant les exigences de l’UE, opinion qui se situait autour de 35% en 2022 et qui est passée à plus de 50% depuis la reprise récente des tractations. De même, la moitié des sondés estiment que «la Suisse a plus intérêt à relever les grands défis seuls qu’à s’en remettre aux autres», ce qui traduit un fort souci d’indépendance.
Enfin, 69% sont méfiants vis-à-vis d’une institution qu’ils accusent d’oeuvrer pour les puissants au détriment des travailleurs. Tout cela explique pourquoi les Helvètes s’entêtent, année après année, à rejeter toute idée de faire partie de l’UE. On devine que, pour beaucoup, la voie bilatérale sert de repoussoir à la perspective d’une adhésion à l’UE, sans réaliser que, accords après accords, nous en reprenons l’esprit en même temps que la forme.
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