L’armée n’a pas adapté sa planification de projets
La ministre de la Défense, Viola Amherd, n’en finit plus de s’expliquer sur les reports d’investissements des forces militaires du pays. C’était vendredi le tour des parlementaires de la questionner, et de pouvoir enfin se rassurer
XLe marathon des explications autour de la gestion du budget de l’armée s’est poursuivi pour Viola Amherd, qui a passé plus de deux heures ce vendredi à se justifier devant les membres de la Commission des finances du Conseil national. Allant pour honorer cette invitation au Palais fédéral jusqu’à renoncer à sa participation pourtant prévue à la Conférence sur la sécurité de Munich.
C’est que les parlementaires l’attendaient de pied ferme. Très inquiets après les révélations de la télévision alémanique SRF, qui concluait fin janvier à un trou financier de 1,4 milliard de francs – avec l’armée qui aurait commandé plus de matériel que ses moyens ne le lui permettaient – les élus ont fini cette fin de semaine par être complètement rassurés. «Tous les contrats passés avec des fournisseurs pourront être honorés, nous en avons enfin reçu l’assurance», confirme avec soulagement Sarah Wyss (BS/PS), la présidente de la Commission des finances.
Alors pourquoi ces deux semaines de flottement absolu autour des finances de l’armée? Les élus pointent deux erreurs majeures. Première erreur, la communication de l’armée, «tout à fait regrettable», selon Sarah Wyss. L’explication donnée par le chef de l’armée devant la presse le 1er février, peu après l’éclatement de l’affaire, est particulièrement pointée du doigt. Thomas Süssli avait alors évoqué des reports d’investissements, parlant d’un «goulet d’étranglement des liquidités», et estimé que l’armée était en danger à cause du ralentissement de la hausse du budget.
Peu claires, ses déclarations ont paru partiellement en contradiction avec celles, postérieures, de sa ministre de tutelle Viola Amherd. Devant la commission, la Valaisanne a d’ailleurs reconnu que la communication n’avait de loin pas été optimale, un constat que selon certains élus, Thomas Süssli a eu bien plus de peine à accepter.
Deuxième erreur, la planification financière. Après le déclenchement de l’offensive russe en Ukraine en février 2022 et les décisions de réarmement de la plupart des pays européens, la Suisse avait elle aussi projeté de revoir son enveloppe militaire à la hausse. Mais il y a un an, le Conseil fédéral et le parlement avaient décidé d’étaler cette croissance jusqu’en 2035, au lieu de 2030 comme initialement imaginé, et cela, afin d’assurer l’équilibre des finances de la Confédération.
Dépôt d’une plainte pénale
«Au final, cet oubli est davantage celui de l’armée que celui de Mme Amherd» JACQUES NICOLET, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES FINANCES
«L’armée aurait vraiment dû établir deux scénarios de planification, l’un pour 2030 et l’autre pour 2035, mais elle en est restée à celui de 2030 et n’a pas jugé nécessaire de l’adapter», s’étonne le vice-président de la commission, Jacques Nicolet (UDC/VD).
Renseignements pris dans d’autres départements, cette non-réactivité étonne. L’usage étant d’adapter les planifications dès que les décisions parlementaires sont prises. «C’est cette erreur-là qui a abouti à toute la mauvaise compréhension de l’affaire et alimenté nos incertitudes jusqu’aux explications fournies ce jour. Cela est désormais rectifié, mais l’armée ne peut s’en prendre qu’à elle-même», tranche Jacques Nicolet, particulièrement sévère envers le chef de l’armée, Thomas Süssli: «Au final, cet oubli est davantage celui de l’armée que celui de Mme Amherd.»
Les parlementaires invitent désormais l’armée à faire tout ce qu’elle peut pour tirer les conséquences de cette affaire et éviter un tel couac à l’avenir. Le DDPS est par ailleurs en train de revoir sa planification, afin de respecter le budget. «Au-delà de cela, il n’y a pas de conséquence politique à en tirer pour nous», conclut Jacques Nicolet. Malgré tout, la Commission des finances a décidé de déposer plainte pénale afin de déterminer d’où est partie la fuite de documents, encore confidentiels à l’époque, que la télévision alémanique a dévoilés fin janvier. ■