Le «snow bike» bientôt aux JO d’hiver?
Cette nouvelle discipline, qui a tenu ses premiers Championnats du monde le week-end dernier en Haute-Savoie, pourrait être le ticket d’entrée du cyclisme dans le programme olympique hivernal. Et ainsi avoir accès à une manne financière considérable
S’imposer aux Jeux olympiques d’hiver: le plan de l’Union cycliste internationale (UCI) a quelque chose d’irréel mais les négociations avancent. Installer le vélo parmi le ski, le patinage ou le hockey? David Lappartient, président de l’institution, y travaille depuis 2020. D’après nos informations, le Français vise la date de 2030 et les Jeux organisés entre Nice et les Alpes, dont il a défendu la candidature. Dans cette perspective, l’UCI pense avoir trouvé la bonne discipline, celle qui pourrait séduire le Comité international olympique (CIO). Le snow bike, alias «vélo sur neige», qui a organisé ses premiers Championnats du monde, le week-end dernier.
L’événement a été monté à la hâte. La station de Chatel, en Haute-Savoie, a fourni ses pistes enneigées et quelques-uns de ses vététistes locaux pour servir de cobayes. A l’image de Pierre Thévenard, 33 ans, un charpentier, qui attend normalement le dégel pour rouler dans la vallée, et qui est désormais le premier champion du monde de snow bike chez les hommes. Il s’est imposé sur les deux épreuves, le super-G, dévalé sur une distance de 1957 mètres, et le «slalom dual», équivalent du slalom parallèle en snowboard et ski alpin. Chez les femmes, laNeuchâteloise Lisa Baumann, 22 ans, a remporté la médaille d’or en slalom dual.
L’UCI ne ménage pas son vocabulaire à l’heure du bilan: «compétitions palpitantes», «succès sans précédent», «événement historique», «nouveau chapitre dans l’histoire du cyclisme»… Cette expérimentation est censée apporter la preuve irréfutable que le vélo peut se tenir «sur neige ou sur glace». Et remplir l’une des conditions pour rejoindre le programme des Jeux d’hiver. L’UCI échoue en effet depuis une quinzaine d’années à présenter la candidature du cyclo-cross, qui est sa véritable discipline hivernale mais qui a pour cadre naturel la terre ou le sable. Elle a bien essayé d’attribuer des manches de Coupe du monde de cyclo-cross en altitude, à 1300 mètres à Villars-sur-Ollon (épreuve annulée pour cause de covid), et à 1270mètres dans la vallée italienne de Val di Sole (plusieurs épreuves organisées depuis 2021) mais le CIO est resté inflexible.
Le snow bike est une discipline récente et confidentielle mais elle a le mérite de bien porter son nom. Avec quelle formule? L’UCI a hésité à s’approprier le marathon VTT sur neige, comme ceux qui sont organisés en Suisse depuis 2015, à Engelberg puis à Gstaad. C’est la version hivernale du VTT de descente qui a finalement été retenue. Elle donne déjà lieu à un championnat national en France, chaque année depuis 2015. Ainsi, le vélo ressemble au ski.
De meilleurs entraînements
Les Jeux olympiques d’hiver constituent un enjeu financier considérable pour les dirigeants du cyclisme. Le CIO leur verserait alors une subvention supplémentaire, correspondant à une quote-part des droits télé. Aux Jeux d’été, l’UCI a empoché plus de 24 millions de dollars à Rio (2016) et Tokyo (2021), sur un total de 540 millions à répartir entre les différentes fédérations. Elle pourrait percevoir un montant supérieur à Paris, la cagnotte pouvant être augmentée de près de 10%. Aux JO d’hiver, le chèque est potentiellement équivalent. Le pot commun des droits télé, fixé à 201 millions de dollars jusqu’à présent, est plus bas qu’en été, de deux tiers, mais seules sept fédérations sont concernées. Et même si les épreuves de patinage (ISU) se taillent la part du léopard des neiges, avec 28% de la subvention empochée, l’UCI pourrait tout de même recevoir une somme importante.
Reste à faire du snow bike un vrai sport, car tout est encore à mettre en place et à pérenniser: format des épreuves, calendrier de Coupe du monde, émergence des athlètes de haut niveau. Jolanda Kiener, médaillée de bronze en slalom dual, plaide pour une véritable préparation avant le super-G. «Courir à haute vitesse sans entraînement et sans connaître les conditions neigeuses s’est révélé plus dur que je ne le pensais», observe la vététiste bernoise. «La plupartdes stations ont refusé qu’on s’entraîne sur leur domaine, témoigne la Vaudoise Sidonie Jolidon. Je n’ai pu rouler sur neige qu’une seule fois, en nocturne, à La Fouly. Il paraît que c’était la même chose avec le snowboard, quand la discipline est apparue!»
Pas si loin du compte
Le snow bike aura-t-il le même destin? «La discipline étant encore très jeune, il est difficile de faire des pronostics sur son évolution», tempère Patrick Müller, responsable du sport d’élite à Swiss Cycling. Les fédérations nationales étaient aux abonnés absents de ce premier Mondial, se contentant d’enregistrer les participants. Pas de préparation collective, pas de prêt de matériel… Mais la perspective olympique, pourvoyeuse de médailles et donc de crédits gouvernementaux, pourrait encourager tout le monde à s’impliquer. Sans compter que, sur le papier, le snow bike n’est pas dénué d’intérêt sportif. «Pour nos athlètes downhill [VTT de descente], c’est un enrichissement, poursuit Patrick Müller. Et puis, le fait qu’une troisième discipline, en plus du cyclo-cross et de la piste, propose des courses pendant les mois d’hiver, contribue à ce que le cyclisme soit considéré comme un sport pratiqué toute l’année.»
Encore très tendre, le snow bike n’est paradoxalement pas si loin des critères d’entrée aux Jeux d’hiver. Le CIO impose que la discipline soit pratiquée dans 25 pays, répartis sur trois continents. Le premier Mondial regroupait neuf nationalités, toutes européennes. Mais l’UCIest capable de développer au moins une épreuve aux Etats-Unis et dans un pays ami, comme la Chine, et ce, dans des temps record. Pour 2030 en France, objectif que David Lappartient martèle auprès du CIO, dont il est un membre élu, ou 2034 aux EtatsUnis, l’hypothèse la plusréaliste?
L’UCI refuse de confirmer publiquement ses prétentions olympiques. Dans une réponse par e-mail, elle «se réjouit de l’essor futur du snow bike en tant que discipline cycliste hivernale, tout en s’appuyant sur l’héritage historique de cette première édition». Mais en coulisses, ellecherche déjà un nouveau lieu pour accueillir les Championnats du monde 2025.
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«La plupart des stations ont refusé qu’on s’entraîne sur leur domaine» SIDONIE JOLIDON, CYCLISTE