La vente d’armes, une stratégie si américaine
En jetant le doute sur l’engagement des Etats-Unis au sein de l’OTAN, Donald Trump déstabilise la solidarité face à Moscou. Pour forcer les Européens à acheter encore plus d’armes à Washington? Le regard de William Hartung, chercheur au Quincy Institute
En campagne pour revenir à la Maison-Blanche, Donald Trump ne fait pas mystère de son aversion pour l’OTAN, l’alliance militaire occidentale forgée après la Seconde Guerre mondiale face à la menace soviétique. Une petite moitié des pays membres consacrent moins de 2% de leur produit intérieur brut à leur défense. Si le candidat est de retour à la Maison-Blanche, il menace de ne pas venir à leur secours en cas d’attaque russe, Moscou pouvant «faire ce qu’il veut».
Ces déclarations n’en finissent pas d’alarmer des deux côtés de l’Atlantique. Elles ont aussi des visées mercantilistes, observe William Hartung, spécialiste du budget militaire des Etats-Unis et de leurs ventes d’armes en tant que chercheur au Quincy Institute, à Washington, qui plaide pour une politique étrangère américaine moins belliciste.
Pensez-vous que Donald Trump soit sérieux lorsqu’il remet en cause la participation des Etats-Unis à l’OTAN? Les plus optimistes diront que c’est une posture visant ses électeurs. Donald Trump se présente comme un négociateur très dur qui serait capable de conclure les meilleurs «deals» (accords) à l’avantage exclusif des Etats-Unis. Mais, s’il est réélu, il sera davantage préparé et s’entourera de conseillers fidèles qui freineront moins ses instincts irrationnels qui pourraient le pousser à quitter l’OTAN.
Déstabiliser l’alliance militaire estelle une manière de forcer les Européens à acheter davantage d’armes américaines pour qu’ils se défendent par eux-mêmes? Suggérer que la Russie puisse envahir un allié de l’OTAN sans que les Etats-Unis ne réagissent, c’est aller beaucoup plus loin que les critiques habituelles contre le manque de dépenses militaires des pays européens. D’autant que les Etats-Unis n’ont pas attendu les menaces de
Donald Trump pour leur vendre un nombre record d’armes. En 2023, les Etats-Unis ont vendu pour 80,9 milliards de dollars d’armes à leurs alliés, contre 51,9 milliards l’année précédente.
L’Europe est-elle de plus en plus dépendante des armes américaines? Le fait que l’Allemagne a choisi en 2022 d’acheter les avions de chasse F-35 américains plutôt que leurs concurrents européens était un signal fort. Dans le sillage allemand, de nombreux autres pays européens ont commandé l’an dernier des armements à Washington, en particulier dans les anciennes Europe de l’Est et du Nord, inquiètes des menaces russes après l’invasion de l’Ukraine. L’industrie d’armement américaine est toujours aussi dominante. Mais, vu l’ampleur des commandes, les livraisons peinent à suivre. Il faut des années pour honorer les contrats. Les retards ont augmenté, car l’industrie devait aussi assurer l’aide à l’Ukraine payée par des fonds publics. Ces retards ouvrent des opportunités pour les concurrents des Etats-Unis. La Corée du Sud a, par exemple, signé des accords pour des milliards de dollars de livraisons d’armes avec la Pologne.
Ces ventes d’armes influencent-elles la politique étrangère des Etats-Unis? C’est un facteur qui contribue au soutien continu des alliés des Etats-Unis dans certains conflits. Les ventes d’armes créent de la richesse et des emplois sur sol américain. La Maison-Blanche a beau jeu d’insister sur ces retombées économiques pour tenter de surmonter les oppositions au Congrès des soutiens de Donald Trump à la poursuite de l’aide militaire à l’Ukraine. Mais, contrairement au fantasme d’un complexe militaro-industriel fauteur de guerres, l’industrie plaide pour davantage de ventes d’armes et pour augmenter le budget militaire des Etats-Unis. Certes, elle bénéficie des conflits, mais la poursuite de ceux-ci relève de décisions fondamentalement politiques.
La diplomatie américaine s’est réjouie de l’augmentation record des ventes d’armes. Qu’en pensez-vous? Il faut différencier les cas. Le soutien à l’Ukraine, qui se défend difficilement face à l’invasion russe, est légitime. Vanter les livraisons d’armes à Israël est beaucoup plus problématique, car le niveau de destruction à Gaza va au-delà de la défense du pays. Ce n’est de loin pas la première fois que les Etats-Unis sont aveugles devant les conséquences de leurs livraisons d’armes.
Un soutien militaire plutôt que l’envoi de troupes américaines, cette doctrine avait été énoncée par Richard Nixon dès 1969. La guerre du Vietnam était alors de plus en plus impopulaire aux Etats-Unis et le président avait progressivement rapatrié les soldats américains remplacés par un programme d’assistance militaire. Cette doctrine connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse, car le président Joe Biden, après le retrait américain d’Afghanistan, ne veut plus intervenir directement dans des conflits à l’étranger.
■
«Les Etats-Unis n’ont pas attendu Trump pour vendre un nombre record d’armes aux Européens»