Berne refuse de renforcer la lutte contre la corruption
Le Conseil national a rejeté hier une motion de la Chambre des cantons, qui prévoyait une hausse de l’amende maximale infligée aux entreprises et une protection des lanceurs d’alerte. Le statu quo l’emporte
Le Conseil national a balayé hier une motion demandant au Conseil fédéral de mieux protéger les lanceurs d’alerte dénonçant les affaires de corruption et d’augmenter l’amende maximale prévue pour sanctionner les entreprises. Le Code pénal, qui restera donc inchangé, prévoit qu’une société peut se rendre coupable de défaut d’organisation lorsqu’une infraction comme le blanchiment d’argent ou la corruption a été commise en son sein et que ladite infraction résulte d’un manque de diligence. Dans un tel cas, l’amende ne peut pas dépasser 5 millions de francs, un montant jugé peu dissuasif pour de grandes multinationales.
L’ancien conseiller aux Etats PLR Ruedi Noser avait déposé le texte demandant le «renforcement de la mise en oeuvre» de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption. En septembre, le Zurichois avait obtenu de justesse une majorité à la Chambre des cantons. Mais à la Chambre basse, le renforcement de la disposition a été jugé inutile.
Pas de «justiciers masqués»
C’est le PLR Philippe Nantermod qui est monté à la tribune pour expliquer ce rejet, sans dissimuler son indifférence envers l’OCDE, qui a critiqué à plusieurs reprises les deux lacunes que la motion entendait combler. Ironisant sur le fait que la Suisse s’exposait à la visite d’une haute délégation de l’instance établie à Paris, le Valaisan a estimé que le législateur était souverain.
Sur le fond, le rapporteur de majorité a dit que le rôle d’un employé n’était pas de dénoncer son employeur, que son devoir de fidélité n’allait pas au procureur et que le pays n’a pas besoin de ces «justiciers masqués» que sont les lanceurs d’alerte. Philippe Nantermod redoute aussi ce «premier pas»: on commence par protéger ceux qui dénoncent la corruption et on «continue avec les infractions fiscales».
Le Conseil fédéral, représenté par le nouveau venu Beat Jans, préconisait aussi un rejet mais pas pour les mêmes raisons. Le gouvernement avait déjà proposé à deux reprises une protection des lanceurs d’alerte, essuyant un refus du parlement. Il estime ainsi, avec clairvoyance, que la majorité n’a pas évolué.
«Je suis convaincu que les élus savent que ces lacunes ne sont pas bonnes pour l’image de la Suisse» STEFAN BLÄTTLER, PROCUREUR GÉNÉRAL DE LA CONFÉDÉRATION
Quant à l’amende maximale applicable aux entreprises, le Conseil fédéral la déclare «proportionnée», compte tenu du fait que le défaut d’organisation «peut correspondre à de la complicité»; il ne réprime pas l’infraction mais le fait de n’avoir pas su l’empêcher. Ce qui n’est pas tout à fait exact: l’article 102 du Code pénal permet aussi de condamner une entreprise lorsque la désorganisation ambiante est telle qu’on ne parvient pas à identifier l’auteur de l’infraction. La responsabilité est alors dite «primaire». Dans le cas d’une banque, la justice a estimé que peu importait de savoir qui était coupable de quoi, l’établissement présentait de telles carences que l’infraction était d’une certaine façon inévitable.
Enfin, le Conseil fédéral a rappelé que l’amende n’est qu’une partie de la sanction. De fait, l’autorité de poursuite pénale peut aussi saisir les profits illicites découlant de l’infraction sous la forme de confiscations ou de créances compensatrices. Les sommes peuvent alors atteindre des dizaines, voire des centaines, de millions de francs. Le géant brésilien Odebrecht, empêtré dans un vaste cas de corruption internationale, a été ponctionné de 200 millions de francs. Pour Gunvor, négociant spécialisé dans l’énergie, des contrats pétroliers entachés de corruption au Congo et en Côte d’Ivoire ont donné lieu à un paiement total de 94 millions. Poursuivi et présumé innocent, son concurrent Trafigura pourrait être le prochain de la liste. Pour rappel, la firme genevoise a enregistré un bénéfice de 7,4 milliards de dollars l’an dernier.
Un montant «ridicule»
Dans ses évaluations, l’OCDE a régulièrement indiqué que le dispositif suisse n’était pas suffisamment dissuasif et proportionné. S’agissant de l’amende, le procureur général de la Confédération, Stefan Blättler, partage cet avis. Dans Le Temps, il avait expliqué que le montant de 5 millions de francs est «ridicule, pour rester poli», tout en précisant qu’il l’avait fait savoir au parlement. En d’autres termes, le Ministère public de la Confédération n’est pas en mesure d’appliquer sa «vision»: «Nous nous engageons afin que le crime ne paie pas.» Il affirmait aussi qu’une législation sur les lanceurs d’alerte était nécessaire.
Lorsqu’il lui a été demandé si le parlement était à l’écoute, Stefan Blättler a répondu ceci: «J’ai du respect pour le travail parlementaire, mais il n’excelle pas par sa rapidité et la justice pénale n’est pas sa priorité. […] Mais je suis convaincu que les élus savent que ces lacunes ne sont pas bonnes pour l’image de la Suisse.» ■