Suisse-Union européenne: contre la désinformation
Le Conseil fédéral devrait adopter à la fin de cette semaine le texte du mandat de négociation avec l’Union européenne. En principe, ce document qui sert d’instruction aux négociateurs restera confidentiel. Il contiendra sans doute quelques ajustements à la suite des consultations qui se sont déroulées au début de l’année.
Certains observateurs, se fondant sur les objections formulées par les entités consultées, estiment que le projet tel qu’il est esquissé ne recueillerait pas de majorité dans le pays. Il s’agirait cependant de présenter le texte qui résultera de la négociation au vote du souverain, pour qu’il tranche enfin la question de nos relations à l’UE.
Mais on ne peut pas simplement se défausser sur le peuple: encore faut-il veiller à ce qu’il soit correctement informé et non pas livré aux fantasmes et aux interprétations tendancieuses. Sans attendre le résultat de la négociation, l’Union démocratique du centre (UDC) poursuit sa campagne de dénigrement de l’UE, ce qui ne paraît guère provoquer de réaction du côté des partisans d’un accord. L’UDC part de l’hypothèse qu’il suffirait de conclure un traité commercial ordinaire, comme il en existe avec des dizaines d’autres Etats. Elle ajoute que l’UE prétend imposer son régime à la Suisse, ce qui serait une humiliation à laquelle nous ne pourrions que nous soustraire.
Le marché de l’UE, qui absorbe la moitié de nos exportations, possède des caractéristiques particulières: il est doté d’institutions et de facilités qui n’existent pas ailleurs et qui ont leur prix, ce qu’on ne saurait comparer aux accords passés avec d’autres partenaires. Prenons l’exemple du marché immobilier. L’achat d’un terrain équipé, qui peut être raccordé immédiatement aux réseaux d’eau, d’électricité et à l’évacuation des eaux usées, est différent de l’acquisition d’un terrain nu où tout est à faire.
Participer au marché intérieur de l’UE, c’est accéder à un espace de 450 millions de consommateurs, d’un système de transport, de facilités douanières, de change et de règles communes qui bénéficient à l’exportateur sans qu’il ait à se soucier des frontières et de la réglementation de chacun des 27 Etats membres. C’est prendre part de plain-pied à un ensemble qui constitue la première puissance commerciale au monde. Elle s’est construite en opposition au libre-échange pour forger son unité depuis soixante-sept ans, et applique son droit propre.
La Suisse est trop tributaire de son environnement pour prétendre être tombée de la lune, d’où le fait qu’elle se rapproche de ses voisins dans le respect des règles qu’ils se sont données tout en tenant pleinement compte de son statut de non-membre de l’Union. C’est le reflet de la réalité et non d’une relation de vassalité: nul n’est forcé de commercer avec l’UE. Participer à égalité avec toutes les parties prenantes dans un marché organisé et bénéfique est un avantage qui découle d’un choix et non d’une contrainte.
Les adversaires de cette solution utilisent un langage dégradant, qui caricature le débat et fait peu de cas de la vérité. Cette entreprise de désinformation provoque des réflexes qui n’ont pas lieu d’être, nourrissant des préjugés et se jouant de l’ignorance de ceux auxquels elle s’adresse. C’est un indigne travesti. La vérité est plus prosaïque que le vocabulaire du «colonialisme» ou de la «soumission» veut nous le faire croire. Il n’y a pas de métropole, de domination par la force, d’intrusion subie.
La jurisprudence du Tribunal fédéral applique dans une large mesure les normes européennes sans qu’elles lui soient imposées, pour des raisons de commodité, de proximité et aussi de bon sens. Les ordonnances d’application incorporent souvent du droit européen dans le droit suisse, parce qu’il correspond à nos valeurs et à nos intérêts. Le futur traité n’y changera rien.
Cependant les milieux favorables à un accord avec l’UE ont tort de laisser le champ libre à ces basses manoeuvres. Il faut occuper le terrain et contester les arguments fallacieux qui entretiennent la peur de l’Europe pour recentrer la discussion publique sur des bases rationnelles. ■