Privatiser Swisscom? C’est une mauvaise idée
L’opérateur helvétique déboursera environ 8 milliards d’euros pour s’emparer de la société italienne. Malgré l’augmentation prévue du dividende, cette opération suscitera des remous en Suisse
L’idée, émanant de représentants de l’UDC, du Centre et des vert’libéraux, est a priori séduisante. Puisque Swisscom part à l’aventure sur le marché italien en s’endettant de 8 milliards d’euros, autant le privatiser totalement. L’opération offre, sur le papier, plusieurs avantages. Le contribuable, actionnaire à hauteur de 51% de Swisscom via la Confédération, n’aura pas à essuyer les pertes si l’histoire italienne tourne au fiasco. De plus, il pourrait encaisser une dizaine de milliards de francs en vendant ses actions. Cerise sur le gâteau, Swisscom n’aura plus de comptes à rendre au Conseil fédéral. Enfin la paix.
A court terme, rien à dire, l’opération est tentante. Mais à long terme, c’est une très mauvaise idée.
Il est certain qu’un Swisscom totalement privatisé, et peut-être détenu par un propriétaire étranger, aura un comportement différent. Il sera moins enclin à investir en Suisse pour développer un réseau aujourd’hui de classe mondiale. Il accélérera certainement un mouvement, déjà en partie amorcé, de délocalisation indirecte d’emplois.
Depuis des années, Swisscom est en restructuration permanente. Totalement privatisé, l’opérateur risque fort de supprimer davantage de postes, de fermer des magasins, avec, finalement, une qualité de service en baisse. On peut aussi craindre des investissements moins importants dans les régions dites périphériques, qui aujourd’hui déjà se plaignent parfois d’être négligées. Le mandat de service universel octroyé à Swisscom n’offre pas une sécurité absolue.
Le groupe est en restructuration permanente
Et surtout, au niveau stratégique, les citoyennes et citoyens suisses ont la chance de posséder et de contrôler les réseaux de Swisscom: qu’ils soient de cuivre, en fibre optique ou de téléphonie mobile, ce sont des actifs extraordinairement précieux. Alors que le thème de la souveraineté numérique est de plus en plus abordé, ces actifs n’ont rien d’anecdotique. On aime critiquer les tarifs prohibitifs de l’opérateur. Mais on oublie souvent combien ses infrastructures sont précieuses et essentielles pour le pays.
Rien ne garantit à 100% que l’aventure italienne sera un succès. Ce sera peut-être le cas, avec des dividendes intéressants pour la caisse fédérale. Par contre, ce qui est certain, c’est que privatiser totalement Swisscom ferait courir un risque majeur au pays tout entier.
Feu vert du Conseil fédéral, feu vert du conseil d’administration à l’unanimité, feu vert de Vodafone: ce vendredi, Swisscom a pu annoncer le rachat effectif de Vodafone Italia pour 8 milliards d’euros, soit environ 7,7 milliards de francs. L’opération, qui fait entrer l’opérateur dans une nouvelle dimension, devrait s’accompagner d’une hausse sensible du dividende. Et, surtout, d’un vif débat sur sa privatisation éventuelle – l’UDC qualifiait vendredi l’opérateur d’«irresponsable».
Rappelons que Swisscom avait annoncé, le 28 février dernier, son intention de s’emparer de l’opérateur Vodafone Italia pour la somme d’environ 7,6 milliards de francs. L’opérateur helvétique est déjà actif dans le pays depuis 2007, avec le rachat de la société italienne Fastweb pour 6,9 milliards de francs. Ce dernier était jusqu’à présent actif sur le réseau fixe, avec une offre en fibre optique (2,6 millions de clients), et sur le réseau mobile (3,5 millions), en revendant des accès sur le réseau mobile d’un autre opérateur.
Un opérateur transalpin qui détient tous les réseaux
Avec Vodafone Italia, Swisscom créera un opérateur transalpin qui détiendra tous les réseaux. La future entité devrait permettre à Fastweb de devenir le deuxième plus gros opérateur au sud des Alpes, derrière Telecom Italia. Vendredi, Christoph Aeschlimann, directeur de Swisscom, a évoqué «des synergies importantes de 600 millions d’euros par année».
Conséquence directe: vendredi, Swisscom affirme que le dividende, actuellement de 22 francs par an – un chiffre stable depuis 2011 – pourrait passer à 26 francs dès 2026 (et donc pour l’exercice 2025), sous réserve des résultats et synergies obtenus d’ici là.
Le Conseil fédéral a donné son feu vert à ce rachat. Rappelons que le gouvernement possède un représentant au sein du conseil d’administration de Swisscom, de par sa qualité d’actionnaire majoritaire. Cité dans le communiqué envoyé vendredi, Michael Rechsteiner, président du conseil d’administration, affirme que «les opportunités et les risques» ont été examinés avec soin et que «les premières citées l’emportent de loin». Selon le responsable, «le rachat de Vodafone Italia est conforme aux objectifs stratégiques du Conseil fédéral pour Swisscom. Pleinement convaincu que cette décision s’inscrit dans l’intérêt de Swisscom et de toute la Suisse, le conseil d’administration a approuvé la transaction à l’unanimité.»
L’opérateur affirme que le rachat de Vodafone Italia – entièrement financé par de nouveaux emprunts – est soumis à l’approbation des autorités réglementaires ainsi qu’aux autorisations habituelles, mais ne nécessite aucun vote des actionnaires de Swisscom.
L’UDC très critique
Détenu en majorité par la Confédération, actionnaire à hauteur de 51% de l’opérateur, Swisscom a fait face à de nombreuses critiques ces derniers jours pour ses aventures à l’étranger. C’est l’UDC qui a été le parti le plus virulent vendredi. Le plus grand parti du pays «condamne fermement les aventures à l’étranger des entreprises publiques suisses. Les entreprises bénéficiant d’une garantie d’Etat de fait ne doivent pas mettre en jeu à la légère l’argent des contribuables. Si la direction fait preuve de négligence, le Conseil fédéral doit engager une action en responsabilité contre le conseil d’administration et la direction».
Réflexion permanente à Berne
Il y a quelques jours, l’UDC avait déjà appelé à une privatisation totale de l’opérateur. D’autres représentants de parti, notamment les vert’libéraux, se sont récemment prononcés en faveur d’une privatisation totale de l’opérateur et ont affiché leur scepticisme envers le rachat de Vodafone Italia. Il est donc tout à fait possible que ces prochains jours, des débats houleux aient lieu concernant la privatisation de l’opérateur.
Vendredi toujours, le Conseil fédéral confirmait son feu vert à l’opération en Italie. En parallèle, le gouvernement évoquait une réflexion prochaine sur une privatisation: «Indépendamment de la transaction, la stratégie de propriétaire de la Confédération concernant Swisscom doit être réexaminée dans le courant de cette année, comme le prévoient les principes directeurs de la Confédération en matière de gouvernement d’entreprise. Cet examen portera sur les questions de privatisation ou de privatisation partielle de l’entreprise».
En parallèle de ces réflexions, Christoph Aeschlimann va se rendre souvent à Berne ces prochains jours: la direction de Swisscom est invitée à se présenter devant les commissions des télécommunications du Conseil national et du Conseil des Etats dans les prochaines semaines. Au menu, des questions sur l’opération italienne et cette fameuse privatisation.
Pour l’heure, les actionnaires de Swisscom se frottent les mains: vendredi après-midi, le titre gagnait plus de 4%, l’opération étant notamment saluée par des observateurs. Selon un analyste de la Banque cantonale de Zurich, Swisscom effectuera, grâce à Vodafone Italia, un «saut quantique». ■
«Cette opération est conforme aux objectifs stratégiques du Conseil fédéral » MICHAEL RECHSTEINER, PRÉSIDENT DU CONSEIL D’ADMINISTRATION