L’amnistie met Sanchez sur le fil du rasoir
A priori, l’adoption de la loi qui blanchit les indépendantistes catalans par la Chambre basse du parlement devrait permettre au premier ministre de s’assurer de leur soutien. Mais l’équilibre du gouvernement est beaucoup plus précaire qu’il n’y paraît
«Cette loi, c’est un cadeau empoisonné pour le chef du gouvernement. Il pensait que c’était sa bouée de sauvetage, mais celle-ci peut très bien contribuer au contraire à le couler définitivement». Ces propos ont été tenus ce vendredi par un chroniqueur de la radio Onda Cero, critique, il est vrai, à l’égard du leader socialiste.
La législation à laquelle il se réfère avait jusqu’ici été perçue par la majorité des observateurs comme la clé de voûte du nouveau mandat du socialiste Pedro Sanchez: la loi d’amnistie. Celle-ci vise à «blanchir» des dizaines de responsables et militants indépendantistes catalans impliqués dans le référendum illégal d’octobre 2017 et la tentative ultérieure d’obtenir la sécession coûte que coûte. Cette législation a été approuvée jeudi par 178 voix contre 172 à la Chambre basse. Elle va désormais suivre son périple au Sénat; celui-ci étant sous contrôle de la droite, qui rejette avec véhémence cette loi, le texte devrait être rejeté à la Chambre haute qui va tout faire pour faire traîner les choses. Mais il sera automatiquement approuvé de nouveau par les Cortes (Chambre des députés) et entrera en vigueur début juin.
Atout et faiblesse
L’approbation de ce texte est a priori une très bonne nouvelle pour le socialiste Pedro Sanchez, au pouvoir depuis 2019: elle lui assure le soutien des formations séparatistes basques et catalanes et donc la possibilité de gouverner. Avec leurs 121 députés – sur 350 –, les socialistes ont en effet besoin d’un appui plein et entier de la part des autres forces de gauche et des mouvements nationalistes. En novembre, Pedro Sanchez est parvenu à arracher au forceps l’assentiment décisif du parti Junts per Catalunya (JxC) et ses sept députés, dont l’homme fort n’est autre que Carles Puigdemont, l’ancien président de Catalogne qui s’est réfugié en novembre 2017 en Belgique afin de fuir la justice espagnole.
Quoique Pedro Sanchez soit associé à l’image d’un leader politique doté de baraka, force est de constater que cette loi d’amnistie est à la fois un atout et aussi une grande faiblesse pour lui. Car, hormis la supériorité arithmétique qu’elle lui confère à la Chambre basse, de gros nuages noirs ne cessent de s’accumuler. Au moins quatre. Primo, le Parti populaire, le grand parti d’opposition à droite, estime que ce texte est «une félonie» car, selon lui, il accorderait des privilèges à des «personnalités qui ont violé la Constitution» et trahirait le principe d’égalité. Son chef de file Alberto Nuñez Feijoo a contesté la légitimité de cette loi auprès des tribunaux européens.
Deuxièmement, plusieurs juges connus pour leurs penchants conservateurs ont ouvert une enquête dans ce sens, à l’instar de Manuel Garcia-Castellon, magistrat de l’Audience nationale, qui accuse certaines organisations catalanes, et son présumé instigateur Carles Puigdemont, «d’actes de terrorisme» lors des émeutes de l’automne 2019 à Barcelone. Or, le chef d’accusation de «terrorisme» n’est pas couvert par la loi d’amnistie. Troisième nuage: la conjoncture politique en Catalogne où l’actuel chef de l’exécutif régional, l’indépendantiste modéré Pere Aragonés – en guerre ouverte avec Junts per Catalunya, son grand rival sécessionniste bien plus radical – vient de convoquer des législatives anticipées à Barcelone pour la mi-mai. «D’ici là, ces deux forces séparatistes vont s’étriper, prédit l’analyste Ignacio Varela. Ce qui va mettre en difficulté l’unité du camp favorable à Sanchez». A quoi il faut ajouter une bataille politique similaire entre deux autres alliés, les séparatistes basques du PNV et de Bildu, à couteaux tirés d’ici au scrutin régional en «Euskadi» (Pays basque) du 21 avril.
Le marionnettiste
Tirant les fils de la politique catalane depuis six ans depuis Bruxelles, Carles Puigdemont incarne à lui seul un grand danger pour la stabilité du gouvernement de Pedro Sanchez. A tout moment, il peut torpiller son mandat. Au point que jeudi, peu après le vote de la loi d’amnistie, le conservateur Alberto Nuñez Feijoo a eu beau jeu de lui reprocher d’être entre les mains du leader séparatiste catalan: «Monsieur Sanchez, votre législature est mort-née. Faites vos valises!». «Il ne fait aucun doute que Carles Puigdemont représente un grand danger pour les socialistes, souligne l’analyste du journal La Vanguardia Lola Garcia. Il a une capacité de nuisance très forte!»
Les rumeurs les plus folles et contradictoires pleuvent concernant l’ancien président catalan, «fugitif» pour ses ennemis, «exilé» pour les siens. Pour beaucoup, cet eurodéputé se présentera au scrutin européen du 6 juin. Pour bien d’autres, il a l’intention de se présenter aux élections catalanes de mai pour briguer de nouveau la présidence, six ans après sa fuite. Cela constitue pour lui un risque important puisque la loi d’amnistie ne sera pas encore en vigueur. L’hypothèse a été confirmée par son avocat Gonzalo Boye pour qui «aucun juge ne pourra empêcher qu’il soit le prochain président de Catalogne». D’autre part, le doute demeure de savoir si le mandat d’arrêt qui pèse sur lui – lancé dès 2017 par le juge espagnol Pablo Llarena – sera ou non effectif. Pour l’heure, son immunité de député européen le protège. Les juristes débattent pour savoir si celle de député catalan pourra en faire autant. Deux certitudes, pour l’heure: la politique espagnole s’enfonce dans une incertitude croissante et Pedro Sanchez est sur un siège éjectable. ■
«Carles Puigdemont représente un grand danger pour les socialistes»
LOLA GARCIA, ANALYSTE DU JOURNAL «LA VANGUARDIA»