Combien de temps l’Afrique parlera-t-elle encore français?
Ce 20 mars, c'est la Journée internationale de la francophonie. L'occasion de célébrer une langue qui, sur le papier, connaît une croissance enviable. Selon le site de l'Organisation internationale de la francophonie, le français serait la cinquième langue la plus parlée au monde avec 321 millions de locuteurs et même la quatrième langue d'internet. La comptabilité est différente si l'on parle de langue maternelle, le français étant alors relégué au 14e rang, derrière trois langues indiennes par exemple (hindi, bengali et pendjabi).
La France reste le premier pays du français. Mais la République démocratique du Congo – héritage belge – pourrait bien devenir le plus important pays francophone. De fait, si le français progresse, c'est grâce au dynamisme démographique de l'Afrique. Faut-il dès lors considérer ce continent comme l'avenir du français? Les apparences sont trompeuses. On pourrait bien, en réalité, assister à un déclin massif du français dans les anciennes colonies de l'empire ces prochaines années.
Deux exemples pour l'illustrer. En Algérie d'abord. Lorsque Emmanuel Macron est reçu à Alger en 2022, les autorités le présentent sous l'étiquette «President of the French Republic». L'anecdote, rapportée par un diplomate, n'est pas l'expression d'une simple vexation dont la diplomatie algérienne serait coutumière. L'anglais remplace peu à peu le français dans l'enseignement et l'administration depuis 2019. Et si les télévisions françaises restent les chaînes étrangères les plus diffusées, c'est en passe de changer. Du fait de la concurrence des chaînes arabes, mais surtout du rejet de plus en plus marqué des informations françaises estampillées «occidentales».
Deuxième exemple, le Sénégal. Le weekend dernier, en marge du Salon africain du livre, Boubacar Boris Diop donnait une conférence dans le cadre du salon littéraire Gingembre à Genève. L'auteur du chef-d'oeuvre Murambi, le livre des ossements, roman sur le génocide rwandais écrit en français, expliquait qu'il ne rédigeait désormais plus qu'en wolof, principale langue nationale du Sénégal. «C'est une question de sonorité. C'est plus proche de ma pensée», a-t-il expliqué. Il appelle ses collègues écrivains à en faire autant. Et ajoute: «Le français n'a jamais été un mariage d'amour, mais de raison. On n'est pas loin du divorce.»
Dans la salle, un ambassadeur gambien se lève en s'excusant de parler en anglais. Il est l'héritier d'une autre histoire coloniale. Un auditeur fait alors part de l'absurdité de la situation, les Gambiens et les Sénégalais ayant le wolof en partage. Mais, tous les Gambiens et Sénégalais ne le comprennent pas. S'ensuit un débat entre l'écrivain et la salle sur un autre problème: la transcription du wolof. Ou faut-il écrire «ouolof»? Cette langue fut d'abord écrite en arabe avant de l'être en lettres latines. On suggère alors l'usage de l'égyptien ancien comme écriture commune pour l'Afrique à l'avenir. Boubacar Boris Diop doit pourtant bien reconnaître qu'à ce stade, le plus simple, car le plus répandu, est l'usage d'une orthographe latine. Ces questions alimentent le renouveau du panafricanisme que l'on voit à l'oeuvre dans l'Afrique subsaharienne, en particulier francophone. La prochaine présidence sénégalaise suivra-t-elle les mouvements engagés au Mali, au Burkina Faso et au Niger pour se débarrasser d'une tutelle française, y compris de la langue de l'ancien colon? On évoque le wolof comme langue commune pour l'Afrique de l'Ouest et du swahili pour l'Afrique de l'Est. Le français et l'anglais resteront-ils des langues «en partage», comme l'on dit en Algérie, un pays qui a refusé d'adhérer à la francophonie? On peut aussi penser qu'elles ont encore un bel avenir. Du fait de leur utilité pratique. Mais aussi en raison de l'histoire commune qu'elles incarnent. Il faudra d'abord solder le passif colonial. Un travail, soixante ans plus tard, qui reste à l'état d'immense chantier. ■