Le bonheur est agendé!
Je me permets de porter à votre connaissance un événement capital de la semaine qui aurait pu vous échapper, si vous n’êtes pas un optimiste invétéré et préférez la crue réalité du monde. Mercredi, c’était la Journée mondiale du bonheur.
N’avez-vous pas ressenti cette vibration positive, de Kiev à Gaza? Bon, essayons autre chose: il y a bien la Russie qui a vissé le séant du tsar sur son trône, les Britanniques soulagés de découvrir le sourire de Kate au marché, les Genevois sur qui pleuvent les dollars. Comme les Suisses n’ont globalement pas à se plaindre, un sondage est venu valider mon affirmation: la plupart des Helvètes sont fondamentalement heureux.
Le côté loufoque de ce jour désigné de félicité m’ayant interpellée, j’ai jeté un coup d’oeil au calendrier onusien. Lequel est beaucoup plus fourni que le calendrier religieux, qui dicte encore l’essentiel des jours fériés, à l’exception de la Fête nationale et de la Fête du travail. Tenons-nous-y, puisque l’agenda de la communauté internationale comporte plus de Journées mondiales que de jours dans l’année.
Des fêtes délirantes, que l’ONU justifie ainsi: «Une opportunité d’informer le grand public sur des thèmes liés à des enjeux majeurs. Ces journées sont l’occasion pour les pouvoirs publics mais aussi la société civile d’organiser des activités de sensibilisation et de mobiliser des ressources.» Celles pour acquérir le bonheur ayant conduit l’humanité à noircir des milliards de pages pour un résultat mitigé, je note en parcourant la liste une curieuse propension à dégouliner de sollicitude pour la défense de causes et d’intérêts particuliers. Plus la société se déchire sans débattre, plus elle se drape dans l’affirmation de principes grandiloquents et creux: un catalogue des bonnes pratiques et du prêt-à-penser. C’est le règne de la commisération, de la bonne conscience à bas prix, de la valorisation du statut de victime, du catéchisme doctrinal.
Ces journées signatures en disent davantage sur ceux qui les promeuvent que sur ceux qui les subissent. Vous en aurez la preuve si vous tombez incidemment sur le calendrier de la ville de Genève. Il permet de deviner au premier coup d’oeil qui est maire, en l’occurrence l’écologiste Alfonso Gomez. Au coeur du sujet, on trouve la Journée des énergies propres, la Journée de l’eau, celle du recyclage (en collision avec celle du zéro déchet), la Journée du vélo en juin (mais alors pourquoi la Journée sans voiture en septembre?). Pour la bonne bouche, voici la Journée de l’alimentation et celle de la gastronomie durable (on ne précise pas si la viande est tolérée).
Plus poétique, la Journée de l’arbre (éviter d’en abattre un le 26 avril, donc) et la Journée de la Terre nourricière (vaguement religieux, petite touche anxiogène). Les valeurs classiques de gauche apparaissent lors de la Journée de la justice sociale et de celle contre la pauvreté (qui a heureusement lieu en novembre et non en mars, lorsque Genève découvre en général 1 ou 2 milliards de plus dans ses caisses). Au chapitre inclusion et minorités, on trouve la Journée du coming out, la Journée du sport féminin, la Journée contre l’homophobie et la transphobie, la Journée des peuples autochtones (exception faite des Genevois, j’imagine), la Journée des personnes d’ascendance africaine (qu’en pensent les Asiatiques et les Valaisans?). Par bonheur, Alfonso Gomez a laissé figurer Pâques, Noël et l’Escalade.
Si j’étais maire, j’ajouterais la journée des fariboles, celle des faux nez, celle de la décadence intellectuelle et celle des causes perdues. Et sinon, tout le bonheur du monde! ■
Ces journées en disent davantage sur ceux qui les promeuvent que sur ceux qui les subissent