L’EI-K, visage meurtrier de l’Etat islamique en Asie centrale
L’attentat de Moscou, qui a fait 137 morts selon le dernier bilan, a été revendiqué par une branche de l’organisation EI qui a notamment endeuillé l’Iran dans une attaque faisant 84 morts en ce début d’année
EI-K, pour «Etat islamique au Khorasan». Le nom de cette branche de l’Etat islamique n’est peut-être pas le plus médiatisé mais il a déjà fait beaucoup parler de lui avant l’attentat du Crocus City Hall dans les faubourgs de Moscou vendredi dernier, qui a fait au dernier bilan 137 morts et près de 200 blessés. En janvier de cette année, l’EI-K avait déjà semé la terreur en Iran dans la ville de Kerman. Résultat: 85 morts dans une attaque kamikaze lors d’une commémoration de la mort du général Qassem Soleimani. C’est bien simple, pour de nombreux observateurs, il s’agit de «la branche la plus meurtrière de l’Etat islamique», annonce la Deutsche Welle.
Cette année, cela fait dix ans que l’Etat islamique au Khorasan existe, un terme signifiant en persan «là d’où vient le soleil», et qui est aussi le nom médiéval de l’Afghanistan qui englobait alors une partie du Turkménistan, de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan, détaille Le Figaro.
Cette branche émerge dès 2014 avec la défection de combattants de plusieurs entités terroristes, notamment du Tehrik-e-Taliban (TTP), d’Al-Qaida et des talibans actifs en Afghanistan et au Pakistan. En janvier 2015, l’EI annonce la formation «officielle» de l’EI-K et, depuis cette date, son histoire est jalonnée de tentatives d’expansion et de replis violents, avec des combats périodiques contre les forces de sécurité afghanes, les talibans et les forces internationales, indique le Center for Strategic and International Studies, un think tank américain.
Des attentats à répétition
La zone dans laquelle cette branche de l’EI est parvenue à s’établir durablement se situe à l’est de l’Afghanistan dans les provinces du Nangarhar et de Kounar, à la frontière avec le Pakistan, ainsi que dans certaines
«La branche accuse le Kremlin d’avoir du sang musulman sur les mains»
COLIN P. CLARKE, ANALYSTE CITÉ PAR LE «NEW YORK TIMES»
zones frontalières avec les pays d’Asie centrale. La mort du leader de l’EI Abou Bakr al-Baghdadi en octobre 2019 donne un premier coup de fouet à l’organisation, écrit Le Monde, alors que le califat de l’EI est quasiment défait au Moyen-Orient, accélérant ainsi «l’expansion de ce groupe vers l’Asie centrale. Un développement confirmé, en novembre 2020, lors de la reddition de 1400 personnes aux autorités afghanes, vivant dans des zones contrôlées par l’EI dans le Nord-Est afghan. Au sein de ce groupe, quicomptait des femmes et des enfants, figuraient de nombreuxressortissants d’Azerbaïdjan, d’Ouzbékistan, du Tadjikistan ainsi que du Pakistan, de Turquie, des Maldives et même des binationaux canadiens et français.»
La branche est particulièrement meurtrière sur le sol afghan avec plusieurs attaques, notamment le 24 janvier 2018 à Jalalabad, contre l’ONG Save The Children, faisant six morts et 27 blessés, le 17 août 2019 à Kaboul dans une salle de mariage (92 morts et 140 blessés) ou le 12 mai 2020, à la fois dans la capitale afghane et à Kuz Kunar dans la province de Nangarhar. Bilan: 92 morts et 140 blessés. Durant cette période, l’EI-K subit cependant les frappes répétées de l’armée américaine et les assauts de commandos afghans, réduisant ses effectifs de moitié à compter de 2021, avec tout juste 1500 à 2000 combattants, rapporte le New York Times. Cette même année, le retour au pouvoir des talibans donne cependant un nouveau souffle à l’organisation, qui profite du «retrait de l’armée américaine pour commettre un attentat suicide à l’Aéroport international de Kaboul en
août 2021, tuant 13 soldats américains et jusqu’à 170 civils, poursuit le quotidien américain. Cet attentat a rehaussé le profil international de l’EI-K, le positionnant comme une menace majeure pour la capacité des talibans à gouverner».
La Russie comme cible privilégiée
Sa dernière attaque d’envergure avant celle du Crocus City Hall le week-end dernier remontait donc à ce début d’année en Iran, pays ciblé notamment en raison de son «polythéisme et son apostasie». La Russie est également une de ses cibles de longue date en raison de son soutien au président syrien, Bachar el-Assad, qui a combattu le califat de l’EI pour le chasser de son territoire. Moscou est également dans le viseur de l’EI-K pour sa guerre brutale contre les insurgés tchétchènes dans le Caucase. La branche du Khorasan avait d’ailleurs attaqué l’ambassade de Russie à Kaboul en septembre 2022, faisant près d’une dizaine de morts. «L’EI-K fait une fixation sur la Russie depuis deux ans et critique fréquemment le président Vladimir Poutine dans sa propagande, déclare au New York Times Colin P. Clarke, analyste de la lutte contre le terrorisme au Soufan Group, une société de conseil en sécurité basée à New York. [La branche] accuse le Kremlin d’avoir du sang musulman sur les mains, faisant référence aux interventions de Moscou en Afghanistan, en Tchétchénie et en Syrie.»
L’EI-K tente également de toucher des cibles en Europe. Une opération antiterroriste menée début juillet 2023 en Allemagne et aux Pays-Bas a révélé ses projets d’attentats sur le Vieux-Continent. «Le groupe [composé de sept personnes âgées de 20 à 45 ans – un ressortissant turkmène, deux Kirghiz et six Tadjiks – projetait des actions «à forte visibilité» en Allemagne et se serait procuré des armes mais il n’avait encore établi aucun [plan] concret», détaillait l’année dernière Le Monde.
La NZZ indique encore que le groupe compterait environ 7000 personnes basées en Afghanistan mais peine à recruter de nouveaux membres et tente ainsi de «s’appuyer sur des attaques spectaculaires comme moyen de propagande». L’EI-K a par exemple séduit de nombreux Tadjiks qui ont intégré ses rangs, un pays d’Asie centrale que Le Figaro jugeait en janvier dernier représenter une «nouvelle menace pour l’Europe», citant notamment «trois affaires, en France ou en Europe, avec des arrestations de Tadjiks au coeur de projets d’attentats». Autant de tentatives déjouées confirmant «un nouveau risque d’attaque «projetée» ou «téléguidée» par l’Etat islamique au Khorasan (EIK), […] qui souhaite visiblement marquer un grand coup et accroître ainsi son aura auprès des fous de Dieu.» Un grand coup qui semble avoir abouti à Moscou. ■