Chers capitalistes, chers prolétaires…
«Lancement du Parti communiste révolutionnaire en Suisse», a titré il y a quelques semaines la RTS. Durant ces dernières années, j’ai été fasciné par la recrudescence de l’idéologie marxiste au sein de ma génération, les moins de 25 ans – un fait impensable pour nos parents.
Notre génération est soumise à une profonde remise en question du sens du travail et de la productivité, alors que nous considérons encore la possibilité d’être épanoui et défini par un métier. Les intelligences artificielles se répandent, et l’idée d’une 4e révolution industrielle apparaît. Notre génération évolue dans la difficulté de se projeter, et de trouver sa place dans une compétitivité accrue entre humains ou entre humains et machines. Karl Marx s’avançait déjà en disant que «les premières victimes pâtissent et périssent pendant la période de transition». Tout cela soulève un fait des plus intéressants: les paroles du «prophète rouge» résonnent toujours davantage lors des avancées technologiques ou de crises structurelles.
La dernière recrudescence de l’idéologie marxiste date des années 1960-1970. Curieusement, c’est aussi la période de la 3e révolution industrielle; l’automatisation de l’industrie s’établissait, et les étudiants soixante-huitards, inquiets des débouchés de leurs diplômes et d’une compétitivité croissante, faisaient, apparemment, plus l’amour que nous; certainement qu’ils réagissaient mieux face aux turbulences de leur époque…
D’un autre côté, il a été observé que la foi et la fréquentation des églises augmentaient lors de crises, comme durant la dernière pandémie. Un regain de foi pourrait être une conséquence lors de crises qui touchent à la vie ou aux catastrophes qui en interrogent le sens. La peur alimente l’espoir que procurent les croyances ou le besoin d’idéaux; et l’idéologie marxiste n’a jamais été rien d’autre que des généralisations faisant croire en une utopie terrestre. Pourrions-nous faire une analogie entre ces recrudescences, alors que certains bouleversements touchent au sens accordé au travail et à la prospérité économique? Peut-être, mais il n’y a pas assez de crises structurelles pour démontrer convenablement ces conjectures.
Les révolutionnaires se photographient le poing levé sous l’effigie de Lénine dans les universités, mais personne ne croira à un «raz de marée rouge»; à des vaguelettes par bise d’été tout au plus. Même s’ils soutiennent un soulèvement et le recours à la violence dans leur FAQ. A la question «les marxistes sont-ils favorables à la violence?», ils répondent qu’a priori pas trop, mais mieux vaut s’armer, et qu’il n’y aura pas d’effusion de sang tant que toute la population validera leurs idées sans ronchonner. Mais bon, personne ne croit à un soulèvement, et il suffit de faire un tour sur leur site pour réaliser qu’eux non plus. Ils sont plus motivés par l’idée romantique du combat et de la révolution. D’ailleurs, il est surprenant qu’ils ne considèrent pas le chefd’oeuvre de Marx, Le Capital, comme une référence dans «théorie et liste de lectures». C’est sans doute que ses milliers de pages et son austérité rebutent face aux vingt minutes qui suffisent à lire Le Manifeste du Parti communiste; ou mieux vaut ne pas le lire, car Marx n’a pas réussi à démontrer scientifiquement son idéal. Pour l’imaginer, il faut y croire, et Marx est affiché partout tel un prophète; c’est à se demander où se situe la foi, et où se situe l’opium du révolutionnaire.
Les générations passées se levaient dans des conditions moins confortables que les nôtres, mais dans l’espoir d’un futur meilleur; aujourd’hui, c’est un futur qui s’assombrit. Alors, oui, il est vrai qu’au vu de leurs absurdités et de leur anachronie, nos révolutionnaires ressemblent à une parodie. Il faut plus y voir une jeunesse désoeuvrée par des crises à répétition. Le monde du travail devient incertain, des catastrophes climatiques et géopolitiques surviendront tôt ou tard, engendrant une impossibilité de se projeter dans l’avenir; et ce sursaut marxiste n’est qu’un symptôme parmi d’autres.
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Les générations passées se levaient dans l’espoir d’un futur meilleur; aujourd’hui, c’est un futur qui s’assombrit