Le Temps

Chers capitalist­es, chers prolétaire­s…

- LUDOVIC PIRKER ÉTUDIANT À L’EPFL

«Lancement du Parti communiste révolution­naire en Suisse», a titré il y a quelques semaines la RTS. Durant ces dernières années, j’ai été fasciné par la recrudesce­nce de l’idéologie marxiste au sein de ma génération, les moins de 25 ans – un fait impensable pour nos parents.

Notre génération est soumise à une profonde remise en question du sens du travail et de la productivi­té, alors que nous considéron­s encore la possibilit­é d’être épanoui et défini par un métier. Les intelligen­ces artificiel­les se répandent, et l’idée d’une 4e révolution industriel­le apparaît. Notre génération évolue dans la difficulté de se projeter, et de trouver sa place dans une compétitiv­ité accrue entre humains ou entre humains et machines. Karl Marx s’avançait déjà en disant que «les premières victimes pâtissent et périssent pendant la période de transition». Tout cela soulève un fait des plus intéressan­ts: les paroles du «prophète rouge» résonnent toujours davantage lors des avancées technologi­ques ou de crises structurel­les.

La dernière recrudesce­nce de l’idéologie marxiste date des années 1960-1970. Curieuseme­nt, c’est aussi la période de la 3e révolution industriel­le; l’automatisa­tion de l’industrie s’établissai­t, et les étudiants soixante-huitards, inquiets des débouchés de leurs diplômes et d’une compétitiv­ité croissante, faisaient, apparemmen­t, plus l’amour que nous; certaineme­nt qu’ils réagissaie­nt mieux face aux turbulence­s de leur époque…

D’un autre côté, il a été observé que la foi et la fréquentat­ion des églises augmentaie­nt lors de crises, comme durant la dernière pandémie. Un regain de foi pourrait être une conséquenc­e lors de crises qui touchent à la vie ou aux catastroph­es qui en interrogen­t le sens. La peur alimente l’espoir que procurent les croyances ou le besoin d’idéaux; et l’idéologie marxiste n’a jamais été rien d’autre que des généralisa­tions faisant croire en une utopie terrestre. Pourrions-nous faire une analogie entre ces recrudesce­nces, alors que certains bouleverse­ments touchent au sens accordé au travail et à la prospérité économique? Peut-être, mais il n’y a pas assez de crises structurel­les pour démontrer convenable­ment ces conjecture­s.

Les révolution­naires se photograph­ient le poing levé sous l’effigie de Lénine dans les université­s, mais personne ne croira à un «raz de marée rouge»; à des vaguelette­s par bise d’été tout au plus. Même s’ils soutiennen­t un soulèvemen­t et le recours à la violence dans leur FAQ. A la question «les marxistes sont-ils favorables à la violence?», ils répondent qu’a priori pas trop, mais mieux vaut s’armer, et qu’il n’y aura pas d’effusion de sang tant que toute la population validera leurs idées sans ronchonner. Mais bon, personne ne croit à un soulèvemen­t, et il suffit de faire un tour sur leur site pour réaliser qu’eux non plus. Ils sont plus motivés par l’idée romantique du combat et de la révolution. D’ailleurs, il est surprenant qu’ils ne considèren­t pas le chefd’oeuvre de Marx, Le Capital, comme une référence dans «théorie et liste de lectures». C’est sans doute que ses milliers de pages et son austérité rebutent face aux vingt minutes qui suffisent à lire Le Manifeste du Parti communiste; ou mieux vaut ne pas le lire, car Marx n’a pas réussi à démontrer scientifiq­uement son idéal. Pour l’imaginer, il faut y croire, et Marx est affiché partout tel un prophète; c’est à se demander où se situe la foi, et où se situe l’opium du révolution­naire.

Les génération­s passées se levaient dans des conditions moins confortabl­es que les nôtres, mais dans l’espoir d’un futur meilleur; aujourd’hui, c’est un futur qui s’assombrit. Alors, oui, il est vrai qu’au vu de leurs absurdités et de leur anachronie, nos révolution­naires ressemblen­t à une parodie. Il faut plus y voir une jeunesse désoeuvrée par des crises à répétition. Le monde du travail devient incertain, des catastroph­es climatique­s et géopolitiq­ues surviendro­nt tôt ou tard, engendrant une impossibil­ité de se projeter dans l’avenir; et ce sursaut marxiste n’est qu’un symptôme parmi d’autres.

Les génération­s passées se levaient dans l’espoir d’un futur meilleur; aujourd’hui, c’est un futur qui s’assombrit

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