AT1 de Credit Suisse: Berne dans le viseur
Des avocats anglais veulent déposer une demande d’arbitrage international contre la Confédération. Ils estiment que l’annulation des obligations dites «CoCos» de Credit Suisse, le 19 mars 2023, constitue une «expropriation» des détenteurs de ces instruments valant à l’origine 16 milliards
Un cabinet d’avocats anglais prévoit d’attaquer la Confédération afin d’obtenir des dédommagements pour des détenteurs d’obligations AT1, annulées lors du sauvetage de Credit Suisse le 19 mars 2023, révèle le site City A.M. Cette demande d’arbitrage international, en cours d’élaboration, repose sur l’idée que le Conseil fédéral aurait fait baisser la valeur de Credit Suisse afin de faciliter sa reprise par UBS. Ce qui constituerait une violation des traités internationaux sur les investissements et une expropriation des détenteurs de ces obligations, détaille L’avocat qui mène cette initiative.
Les 16 milliards de francs que valaient initialement ces obligations dites «CoCos» continuent à susciter des vocations. Plus de 3000 détenteurs de ces AT1 ont déjà fait recours auprès du Tribunal administratif fédéral afin de faire annuler la décision de la Finma d’amortir ces titres de dette risqués et rémunérateurs, pouvant être convertis en capital en cas de difficultés. Un autre angle d’attaque est porté par Loukas Mistelis, spécialisé en arbitrage au sein de l’étude Clyde & Co, à Londres.
Selon Loukas Mistelis, Credit Suisse aurait pu être repris au
«On avait quelque chose de valeur et cette valeur a été réduite à zéro, alors que d’autres options existaient» LOUKAS MISTELIS, AVOCAT CHEZ CLYDE & CO À LONDRES
prix du marché par des investisseurs étrangers – il cite un intérêt supposé de BlackRock à l’époque, mais la Confédération a privilégié une solution suisse. «Les discussions menées en secret les jours précédant le 19 mars ont conduit à faire baisser le coût de la reprise par UBS, car ce manque de transparence a alimenté des spéculations et provoqué une détérioration de la situation de Credit Suisse», détaille l’avocat londonien au Temps.
Dans ce cadre, l’annulation des AT1 de Credit Suisse a constitué une décision du Conseil fédéral pour protéger UBS, et un fait qui serait qualifié d’expropriation selon les traités internationaux, avance encore Loukas Mistelis: «On avait quelque chose de valeur et cette valeur a été réduite à zéro, alors que d’autres options existaient et n’auraient pas eu ces conséquences drastiques.»
En pratique, si un Etat signataire d’un accord de libre-échange et d’un traité bilatéral – la Suisse en compte plus de 120 – prend une décision qui diminue la valeur d’investissements effectués par des ressortissants d’un autre pays, l’affaire peut être portée devant un tribunal arbitral privé, nous expliquait l’avocat Sebastiano Nessi en avril 2023.
Un arbitrage n’est pas une médiation, mais plutôt un long procès confidentiel, mené par trois arbitres (un nommé par chaque partie et un autre désigné par ces deux spécialistes), au cas où les éventuelles négociations entre les parties ne donneraient rien. La sentence arbitrale rendue a la même valeur qu’un jugement étatique.
Financement tiers
Clyde & Co cherche actuellement à regrouper des clients essentiellement Asiatiques dans cette procédure et vise une compensation équivalant à 50-60% de la valeur boursière des AT1 avant que les difficultés de Credit Suisse ne provoquent leur chute. Soit entre 5 et 6 milliards de francs selon un calcul rapide (les AT1 avaient subi une décote de 40% avant les derniers jours de Credit Suisse). Cette somme serait à la charge du contribuable suisse si les plaignants l’emportaient.
Loukas Mistelis est en discussion avec des investisseurs qui avanceraient les frais de cette procédure, soit quelques millions entre le coût de l’arbitrage et les honoraires de l’étude. Ils recevraient en échange une partie des compensations éventuellement remportées, généralement 30%. ■